Cet article est rédigé dans le cadre des « ateliers blog » de CLG Formation-Recherches. Le thème du mois de novembre est : un soldat.
Nous partons aujourd’hui à la découverte de l’histoire de mon trisaïeul Jean Lucien NAUD (mon arrière-arrière-grand-père) qui a participé à la Première Guerre mondiale.
Son enfance à Marsais
Jean Lucien vient au monde le 15 février 1879 à Marsais, dans le hameau de Beaumont, en Charente-Maritime, tout près du département voisin des Deux-Sèvres. Il est le premier fils d’un couple de propriétaires cultivateurs originaires de la région : Jean NEAUD et Clémence LAVERGNE. Il est le troisième enfant d’une fratrie qui en compte cinq, dont seulement trois vécurent :
- Clémence Aglaé NAUD (1876-1947)
- Louise Elisabeth NAUD (1877-1879)
- Jean Lucien NAUD (1879-1915)
- François Gustave NAUD (1880-1881)
- Anselme André NAUD (1884-1956)
On retrouve cette famille sur les recensements de 1891, à Marsais:
Le service actif
Après une enfance à Marsais, entre la culture, la moisson et les bancs de l’école communale, Jean Lucien part effectuer son service militaire le 16 novembre 1900. Il rejoint ainsi le 34ème régiment d’infanterie comme soldat seconde classe, à Mont-de-Marsan, dans les Landes. Il y restera durant 3 années et sera envoyé à la disponibilité le 29 septembre 1903.
De retour dans sa région natale, il se marie le 25 Avril 1905 avec Léa POUZIN, qui habite à quelques kilomètres, dans le village voisin de La-Ville-aux-Moines, commune de Doeuil-sur-le-Mignon. C’est ici que Lucien et Léa vont fonder leur famille, en donnant naissance à trois garçons :
- Gervais, né le 20 février 1907, décédé le 28 avril 1975
- Marc, né le 14 avril 1911, décédé le 6 mai 1996
- Yves, né le 6 février 1914, décédé le 1er janvier 1996
La mobilisation générale
Le 2 août 1914, Yves, le petit dernier, a tout juste 7 mois. C’est un jour terrible pour des millions de foyers français. Au total, 3 780 000 hommes sont appelés à la mobilisation générale dans toute la France, en réaction aux mesures équivalentes prises par l’Empire allemand. Jean Lucien n’a d’autre choix que de quitter sa famille et rejoindre son régiment à La Rochelle. C’est un déchirement pour tous. Ils ne le savent pas encore, mais leur embrassade sera la dernière.
Jean Lucien arrive au 138ème Régiment d’Infanterie Territorial (R.I.T) à La Rochelle le 14 août 1914. Il intègre le 3ème Bataillon. C’est à ce moment-là que fut prise la seule photo connue de lui.
Son parcours durant la guerre
L’historique du 138ème R.I.T nous permet alors de retracer leur parcours :
17 août 1914 : Ce bataillon part très rapidement sur le secteur d’Orléans, à Marigny-Les-Usages et Boigny-sur-Bionne, et y reste environ un mois pour des manœuvres, de l’instruction et des entrainements.
1er octobre 1914 : départ pour Amiens (80), où ils arriveront le 2 octobre. Cantonnement à la caserne DEJEAN, précédemment occupée par les allemands, et laissée dans un piteux état.
24 octobre 1914 : départ pour Doullens (80), où le 3ème bataillon assurera le service de la gare et l’administration d’un dépôt d’éclopés.
24 novembre 1914 : départ des hommes de la classe 1898-1898 (âgés de 34-36 ans) en renfort vers le 167ème Régiment d’Infanterie basé à Toul (54). C’est ce que Jean Lucien raconte dans une carte postale écrite à sa famille deux jours plus tard, le 26 novembre:
Toul, le 26 novembre 1914
Chère Léa bien aimée
Je t’envoie ces quelques mots
pour t’apprendre que je suis toujours
en bonne santé, mais que nous ne sommes plus
à Bar Le Duc. Nous sommes rendus
à Toul depuis mardi. Je t’assure
qu’il ne fait pas chaud, mercredi
il a tombé de la neige. Aussi je peux
te dire que nous avons une […] dans nos classes
98-99. Maintenant je ne sais point ce que ça va faire.
Je vous [embrasse ?] tous de tout cœur.
Lucien
Lucien restera dans ce régiment pendant 4 mois. L’historique du régiment ne le précise pas, mais il semblerait qu’il ait été pris dans les violents combats du Bois-le-Prêtre, au nord-est de Pont-à-Mousson (54). Il est donc très fort probable que Lucien y ait participé.
25 mars 1915 : Lucien intègre le 81ème régiment d’infanterie, qui est englué dans les combats de la bataille de Champagne et dans la Meuse.
Au printemps 1915, Lucien reçoit une carte postale de son fils aîné, Gervais, alors âgé de 8 ans. Il est sans doute difficile, pour des personnes de notre époque, de se matérialiser tout le réconfort procuré par la réception de ce type de courrier pour les soldats, tant au vu des douleurs ressenties que des horreurs perpétrées.
Mon bon papa, Aujourd’hui dimanche, je viens te
donner de nos nouvelles qui sont bonnes,
et je désire de tout cœur que ma carte
te trouve de même. Tes enfants qui t’aiment
et qui ne t’oublient pas. Nous t’embrassons
de tout cœur. Gervais
Carte sur laquelle Lucien écrivit, également, pour répondre à son fils :
Jeudi le 14 mai 1915,
Cher fils, Aujourd’hui jeudi je viens de recevoir un
colis que je n’attendais pas. C’est ti un de vous
qui m’avez envoyé des […] Il y avait une tablette de chocolat,
du papier à lettre, […] et puis une boite de pastilles […],
un paquet de tabac. Ça fait beaucoup de
[…] répondre […].
Votre papa qui vous embrasse bien fort et qui ne vous oublie pas.
Il est à noter, qu’entre une orthographe approximative et l’utilisation du patois charentais, ce courrier de Lucien ne manque pas d’authenticité.
7 octobre 1915 : Lucien se trouve dans la Marne, à environ 40 km à l’est de Reims. C’est la prise de Tahure, une bataille terrible. De féroces combats rongèrent la zone pendant plusieurs semaines consécutives. Tahure et les villages alentours furent détruits lors de ces affrontements. Ils ne seront jamais reconstruits. Il fait partie de la longue liste des « villages martyrs » qui ont tant marqué les esprits. Les soldats affirmaient souvent: « Il a fait Verdun ». Mais beaucoup disaient aussi: « Il a vu Tahure ».
9 novembre 1915 : Lucien est gravement blessé lors des combats à Tahure : « éclat d’obus au tibia droit, cuisse gauche et pied gauche ». Il est rapatrié en urgence, à l’Hôpital mixte de Cahors, loin de ce carnage.
19 novembre 1915 : Lucien décède des suites de blessure de guerre, à Cahors.
Des funérailles et les honneurs dans son village
Le corps de Jean Lucien a été rapatrié à Doeuil sur le Mignon où il repose dans le cimetière communal. Léa, Gervais, Marc et Yves ont dû monter à pieds, dans le froid glacial d’une fin novembre, jusqu’à ce cimetière exposé aux vents, pour y enterrer leur héros, leur papa.
Lucien est donc reconnu comme « Mort pour la France », au même titre que 19 autres jeunes hommes du village.
Ils seront à jamais considérés comme les héros de la commune, même si les traces du temps qui passe ternissent peu à peu le tableau d’honneur, les monuments, et leur tombe.
Lucien sera décoré à titre posthume de la Croix de Guerre avec Etoile de bronze, et sera cité à l’ordre de son régiment :
Depuis le départ de Lucien en 1914, la famille a néanmoins dû vivre, survivre même. A chaque courrier reçu, devaient se mêler l’impatience des nouvelles du patriarche, à l’inquiétude d’une terrible nouvelle. Un an et demi de cauchemar qui a fini de la pire des manières.
Les enfants ont grandi sans leur père. Gervais avait huit ans lors du décès de son papa. Marc en avait trois et Yves tout juste un an. Léa, sa veuve, a dû s’occuper de la terre et de ses enfants, épaulée par ses parents, avec qui elle vivait, à La-Ville-Aux-Moines.
La photo étudiée lors de mon article intitulé « une photographie intrigante » a été prise fin 1914 ou début 1915, alors que Jean Lucien NAUD combattait à l’autre bout du pays.
L’image mise en avant pour cet article est la fiche matricule militaire de Jean Lucien NAUD. Elle provient des archives départementales de la Charente Maritime, cote 1R242. https://archives.charente-maritime.fr/
Milles merci David de ces recherches que tu nous a faites.Je sais que mon grand père Marc a très mal vécu la mort de son père. Je crois qu il avait de vague souvenirs de son père. Mais nous pouvons dire que c était trois frères qui s adoraient.
Merci beaucoup
Bel hommage et très beau récit d’un soldat au triste destin.
La correspondance entre Jean Lucien et sa famille est très émouvante. Ces cartes sont très précieuses.
Bonjour,
Je retrouve dans ce témoignage un peu de mon arrière grand-père parti de La Rochelle en août 1914 au sein du 138e RIT puis basculé au 167e RI.
Merci pour votre commentaire! Beaucoup de destins se ressemblent malheureusement à partir de 1914…