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Cet article est rédigé dans le cadre des « ateliers blog » de CLG Formation-Recherches. Le thème du mois de décembre est : un article de presse.

 La transmission par le souvenir familial

 Chaque famille a ses légendes familiales, ses secrets et ses mystères. Ils peuvent être provoqués par la volonté de cacher une erreur commise par un aïeul, par une personne qui a enjolivé ou exagéré une situation en la racontant, voire même par l’oubli, le temps qui passe, qui transforme un fait en incertitude, rumeur ou vague souvenir.

Dans ce billet, je vais vous montrer comment un article de presse m’a permis d’éclaircir la fin de vie d’un homme, Henri Ferdinand Pierre CHARTEAU.

Cette partie de ma branche paternelle n’a jamais été facile à découvrir, car cette famille d’origine vendéenne  a quitté le bocage après la seconde guerre mondiale, pour rejoindre la région de Royan, en Charente Maritime. L’éloignement géographique et les années ont estompé les souvenirs, et les histoires familiales sensées combler tout généalogiste amateur.

Ma grand-mère, sans être très bavarde, garde une très bonne mémoire, du haut de ses 84 printemps.  Elle n’est pas du genre à lancer d’elle-même une discussion généalogique, mais s’y plonge volontiers quand je commence à lui poser des questions. Elle n’a jamais connu ses grands-parents paternels, Henri Ferdinand Pierre CHARTEAU et Marie Rose Victorine SIRE, qui sont décédés relativement jeunes, respectivement à 43 et 36 ans, à Martinet, en Vendée. Ce couple m’a toujours intrigué, c’est le seul à la quatrième génération au-dessus de moi, pour lequel je n’ai aucune photographie.

La Grande Rue de Martinet, au début du XXème siècle. Des personnes et une voiture sont stationnés dans la rue.

Carte Postale de Martinet – Collection personnelle

 

Henri, que t’est-il arrivé ?

J’ai donc souvent jeté mon dévolu sur ces deux vendéens, pour en savoir le plus possible sur eux.

Voici les quelques informations que ma grand-mère avait pu me donner au début des années 2010 :

  • Henri CHARTEAU a participé à la première guerre mondiale, et y aurait perdu un bras.
  • A son retour à la maison, sa femme est décédée rapidement, voyant son mari dans cet état
  • Il aurait élevé ses jeunes enfants pendant 8 ans, avant de décéder en tombant d’un toit.

 

Cette dernière information, m’a trotté dans la tête durant des années. Tombé d’un toit ? Comment est-ce possible ? Que faisait-il sur un toit ? Qui plus est avec un bras en moins!  Etait-ce accidentel ? Peut-être dans le cadre de son travail ? Est-il mort sur le coup, ou bien est-il mort plusieurs jours ou semaines plus tard ? Tant de questions auxquelles des réponses m’étaient nécessaires.

 

L’acte de décès d’Henri CHUSSEAU

Après de rapides recherches en ligne, on retrouve effectivement le décès de Marie Rose Victorine SIRE en 1916, et celui de Henri Ferdinand Pierre CHARTEAU en 1924. Mais, bien entendu, sans plus d’explications sur les circonstances de son décès.

Acte de décès d'Henri Ferdinand Pierre CHARTEAU, le 12 mai 1924.

Acte de décès d’Henri CHARTEAU – Source: Etat civil – Archives Départementales de Vendée

Le parcours militaire d’Henri CHUSSEAU : une grande aide

La fiche matricule militaire

En remontant un peu le temps, j’ai retrouvé sa fiche matricule militaire qui m’a permis d’accéder à de nombreuses informations le concernant :

  • il a effectivement participé à la Première Guerre mondiale ;
  • il faisait partie du 53ème régiment d’infanterie coloniale ;
  • il a été gravement blessé au bras gauche le 26 septembre 1915 à Souain (près de Tahure, en Champagne) ;
  • l’urgence de son état a nécessité son évacuation vers l’hôpital ; auxiliaire n°3 à Châlons-sur-Marne ;
  • il a de nouveau été transféré vers à l’Hôpital de la Santé à Paris.

Sa fiche matricule militaire indique simplement qu’il a subi une fracture du bras gauche :

Extrait de la fiche matricule de Henri Ferdinand Pierre CHARTEAU - Blessé le 26 septembre 1914 à Souain - Fracture du bras gauche.

Extrait de fiche matricule – Source: Archives Départementales de Vendée

 

On y arrive, à cette fameuse blessure à un bras… Mais on est encore loin du bras manquant et de la version de ma grand-mère.

Un peu plus haut, sur la fiche matricule, on peut également lire qu’il lui a été attribué une pension de retraite de 750 francs par décret du 29 novembre 1916. On comprend donc ici qu’il n’a pas combattu, de nouveau, après sa blessure. En outre, l’octroi de cette pension de retraite nous indique que la blessure subie par mon aïeul est, sans l’ombre d’un doute, d’une plus grande gravité que la simple fracture d’un bras.

Extrait de la fiche matricule d'Henri Ferdinand Pierre CHARTEAU - Pension de retraite

Extrait de fiche matricule – Source: Archives Départementales de Vendée

 

Le Journal Officiel

Ce sont deux parutions au Journal Officiel  (des 29 juin et 6 décembre 1916) qui nous livrent la nature de la blessure d’Henri CHARTEAU :

Parution au journal officiel du 29 juin 1916

Parution au journal officiel du 29 juin 1916 – Source: Gallica.bnf.fr

 

Parution au Journal Officiel, pour Henri CHARTEAU

Parution au journal officiel du 6 décembre 1916 – Source: Gallica.bnf.fr

 

Finalement, elle avait bien raison mamie !  Du moins pour partie… Réellement amputé d’un bras suite à sa participation à la Grande Guerre, et veuf dès le 31 janvier 1916.  En revanche, pour découvrir les causes du décès d’Henri, j’ai encore du piocher dans les archives pour trouver des réponses…

 

Un article de presse nous explique tout

Comment retrouver la cause d’un décès accidentel, autrement que par les témoignages oraux ? Si Henri est réellement tombé d’un toit, la mairie en a peut-être gardé trace ? Je me suis donc rendu sur place, à Martinet, au printemps 2022 pour découvrir ce lieu de vie de mon ancêtre.  J’en ai profité pour me balader dans ce charmant village, visiter le cimetière, contempler l’église Saint Pierre, le petit parc de la Salette et poser quelques questions en mairie. Aucune trace de la cause de la mort d’Henri à la mairie de Martinet.  Je rentre dans le Loiret bredouille.  La chute du toit commence à ressembler de plus en plus à une légende familiale.

Il ne me reste qu’à fouiller dans la presse locale ancienne, aux alentours de mai 1924 en Vendée, pour espérer trouver une explication.  Si un homme meurt en tombant d’un toit, dans un petit village comme Martinet, cela a peut-être marqué les esprits et alimenté la rubrique faits divers ?  Le site Rétronews, proposé par la Bibliothèque Nationale de France,  propose bien des titres, mais cela ne m’est pas d’une grande aide. Aucune trace d’un accident à Martinet au printemps 1924.

Je me tourne alors vers le site des Archives Départementales de la Vendée. Ils ont, eux aussi, procédé à la numérisation des journaux anciens locaux : c’est là que se trouve la clé de mon enquête! Je consulte plusieurs titres, dont  La Croix vendéenne (1906-1937), La Dépêche vendéenne (1919-1944)  ainsi que l’Etoile de la Vendée (1886-1944). Et c’est dans ce dernier que je trouve, dans l’édition du 25 mai 1924, en page 5 d’un hebdomadaire qui en compte 6, la réponse à cette enquête généalogique.  Dans la rubrique faits divers, à Martinet, on parle d’un accident mortel :

Article de la rubrique fait divers, relatant la l'accident et la mort de Henri Charteau à Martinet, le 12 mai 1924

Article paru dans l’Etoile de la Vendée, 25 mai 1924 – Source: Archives Départementales de la Vendée

 

Triste sort que celui de ce vétéran de la Première Guerre mondiale. On est même proche de l’ironie, malheureusement. Après avoir vu et subi les pires horreurs sur le front de la guerre, il s’est simplement assoupi sur le haut d’un mur, et a fait une chute mortelle. Dans un état critique, il a été ramené chez lui et retrouvé mort le lendemain matin.

Cet article est, semble-t-il, le seul qui fasse mention de cet accident à Martinet le 12 mai 1924. Je n’ai trouvé aucune information ailleurs. Cet article est une mine d’or pour un généalogiste, puisqu’on y apprend qu’il est décédé le 12 mai, et inhumé deux jours plus tard. On y  découvre le récit de l’accident et  la cause exacte du décès (congestion). On en apprend un peu plus sur le personnage (sortie en  public, fête de village), ainsi qu’il habitait avec sa fille.

Henri n’est en réalité pas tombé d’un toit, mais le récit familial n’est, finalement, pas si loin de la vérité! Quasiment 100 ans après cet accident, je me baladais dans ce parc de la Salette, sans même savoir ce qui s’y était passé…

Bien entendu, j’ai vite communiqué le résultat de mes recherches à ma grand-mère, afin qu’elle mette sa mémoire à jour et qu’elle puisse raconter cette histoire à quiconque voudra l’entendre !

 

La manchette du journal l’Etoile de la Vendée, mise en avant pour cet article, provient des fonds numérisés des Archives Départementales de la Vendée (cote 4 Num 365/41, vue 87 sur 196): https://archives.vendee.fr/ark:/22574/FRAD085_4NUM365

 

5 Commentaires

  • Des années de recherches récompensées ! J’ai adoré lire l’article pour savoir ce qui était réellement arrivé à Henri.
    Voilà un bel exemple de détermination généalogique

  • Quelle bel article, j’ai moi aussi retrouvé la piste d’un aïeul grâce à la presse. C’est vraiment une source inépuisable de renseignements et un trésor pour les généalogistes. Bravo !!!

  • Ponfred dit :

    Si proche et pourtant déjà si loin les évènements des années 1920 restent encore dans la mémoire des vivants même si ils sont quelque peu déformés

    • David Descourtieux dit :

      Merci Frédéric pour ton commentaire! Oui, les années 1920 restent dans les mémoires de quelques personnes, encore un peu… Il faut questionner les bonnes personnes!

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