Un dimanche de septembre 2023, je trouve une carte postale ancienne qui m’interpelle. Je décide d’enquêter et de retrouver la trace de ses correspondants, et de tirer le fil généalogique grâce aux indices laissés.
Une carte postale ancienne trouvée en brocante
Lors de la brocante de Neuville-aux-Bois dimanche 3 septembre, j’ai trouvé une carte postale ancienne qui a rapidement attiré mon attention.
Tout d’abord, elle n’est pas illustrée. Puis elle a été oblitérée en 1888, ce qui n’est pas commun ! Et enfin, cette carte était adressée à une personne habitant dans ma région natale. Il n’en fallait pas plus pour attiser ma curiosité, l’acquérir et essayer de retrouver qui sont ces personnes! Voici la carte en question:
Il s’agit d’un entier postal, ce qui n’est autre que l’ancêtre de la carte pré-timbrée. Ce type de courrier existe depuis le début du XIXème siècle dans certains pays d’Europe, mais les premiers exemplaires ne sont apparus en France qu’en 1870, lors du conflit franco-allemand, afin de permettre une meilleure communication dans le pays. Ce système s’est démocratisé et a permis aux entreprises de simplifier et multiplier leurs envois de courrier. La carte postale illustrée, que nous connaissons encore à ce jour, arrivera quelques années plus tard, atteignant son apogée en tout début du XXème siècle.
Sur le recto de la carte postale ancienne, on y trouve un timbre de 10 centimes, du type « Sage » directement imprimé sur la carte. Le cachet de la Poste indique que la carte est partie d’Aix-les-Bains le 19 août 1888, lors de la 5ème levée de la journée:
Madame POISSON, destinataire de la carte
Et enfin, cette carte postale est adressée à « Madame POISSON, Domonville près Sermaises (Loiret) »
Les ennuis commencent, car je ne connais aucun Dononville ou Denonville dans le secteur de Sermaises ! J’ai grandi dans le coin, je connais donc bien la région et ses villages.
J’émets dans un premier temps, quelques hypothèses sur le village en question, puis je me lance sur la lecture du verso de la carte, pour en apprendre un peu plus sur la destinatrice de ce courrier :
- Denonville, dans l’Eure et Loir, à environ 40 km de Sermaises
- Dossainville, dans le Loiret , à 8 km de Sermaises
- Un village proche de Sermaise, un homonyme, sans le « s » dans l’Essonne, éventuellement.
Le contenu de cet entier postale
Le verso de cette carte est très lisible, malgré le fait qu’elle ait été écrite il y a 135 ans. Il comporte deux cachets de la Poste : un daté du 20 août 1888, « Moulins à Paris », puis un second daté du 21 août 1888, indiquant bien « Sermaises du Loiret ». Je comprends alors vite qu’on est bien sur une personne résidant dans le Loiret, éliminant ainsi mes hypothèses d’Eure et Loir et d’Essonne. Un certain Mr A. CHABERT écrit donc :
« Madame, Je m’adresse à vous,
Pour vous faire une petite réclamation de la
part de celui qui a été chargé de vos bagages
et de ceux de Mme Berteau en arrivant le
premier jour à Aix. Veuillez envoyer en timbre
Poste 1 Fr 80 C pour vous deux Mesdames. Cette
petite somme a été oubliée sur vos deux comptes.Veuillez agréer Madame l’expression de mes
sentiments distingués »
On comprend donc que la destinatrice de cette carte, Mme POISSON, était avec Mme BERTEAU, quelques jours auparavant, à Aix-Les-Bains. M. CHABERT leur écrit pour leur réclamer 1,80 Franc en timbre-poste, somme qu’il aurait omis de leur facturer pour le port de leurs bagages. Mais qui sont ces deux femmes ? J’ai effectué quelques recherches pour en savoir un peu plus.
Sur la piste de Madame POISSON…
Après un rapide coup d’œil sur les tables de recensement de Denonville (28) et Sermaise (91) en 1886 et 1891, aucune madame BERTEAU, ni POISSON n’apparaissent sur les registres. Il me reste alors à concentrer les recherches autour de Sermaises du Loiret. Mon intuition est que Dossainville est le seul village commençant pas un « D » à proximité de Sermaises. Et au niveau de la graphie, les lettres « DOSSAIN » manuscrites pourraient facilement être confondues avec «DOMON », ce qui expliquerait l’erreur de monsieur CHABERT. Cette piste va alors s’avérer fructueuse…
… Via les fichiers de recensement …
Les registres du recensement de 1886, à Dossainville, m’indiquent alors la présence de deux femmes nommées POISSON :
Ci-dessus, Désirée POISSON, femme MINIER, cultivatrice de 25 ans, mère d’un enfant de deux mois (et donc deux ans en 1888). Pas vraiment le profil d’une personne à se rendre à Aix-les-Bains, alors qu’il y a au moins un enfant en bas âge, et une exploitation agricole à faire tourner.
Julienne POISSON, veuve AUDEBERT, âgée de 73 ans et rentière, dans le hameau de Folleville, toujours commune de Dossainville. Le profil correspond mieux, je pense, au type de personne pouvant se rendre à Aix Les Bains, que ce soit pour du tourisme ou une cure thermale. Et cerise sur le gâteau, une de ses voisines se prénomme Célestine BERTEAU, et pourrait bien correspondre à celui de son accompagnatrice!
… Puis à travers l’état civil …
Marie Julienne Françoise POISSON est née le 6 août 1813 à Ondreville-sur-Essonne, village de 350 âmes, longeant l’Essonne, au nord du département. Elle est la fille de Pierre POISSON et de Marie Anne BEAUMONT, tous deux cultivateurs au lieu-dit Foussereau. Cadette d’une fratrie de 8 frères et sœurs, elle n’en connaitra finalement que deux, puisque les cinq autres sont décédés jeunes entre 1799 et 1812.
Des origines à Ondreville sur Essonne
Le 8 janvier 1821, son frère aîné Pierre Jacques POISSON se marie à Ondreville avec Marie Madelaine RETIF. Le futur et ses parents habitent toujours Ondreville à cette date. Par conséquent, Julienne également.
L’installation à Audeville puis Dossainville
C’est donc entre 1821 et 1831 que Julienne, ses parents, son frère et sa sœur quittent la vallée de l’Essonne pour rejoindre la plaine cultivée d’Audeville. Julienne perd alors coup sur coup son père , qui décède à Audeville le 26 novembre 1831, puis sa mère, qui y décède également le 1er mai 1835. La sœur ainée de Julienne, prénommée Marie Anne Catherine, se marie à Audeville le 7 juin 1836 avec André Théodore PICHOT.
Le couple s’installe sur la rue d’Engenville, et y mènera une vie agricole, lui en tant que manœuvrier, et elle en tant que domestique. Lors du recensement de 1856, on voit que trois enfants ont complété la famille :
Les enfants grandissent, se marient, et Julienne, elle, reste dans son petit hameau de Folleville. La vie avance, les jours défilent, et elle finit par perdre son mari, qui décède dans la maison familiale le 24 avril 1878, à l’âge de 64 ans.
Julienne lui survit durant 16 années, qu’elle passe en partie à Folleville. On sait donc qu’à l’été 1888, elle partira en voyage à Aix les Bains, probablement pour profiter des cures thermales de la région. Vers 1890, elle part vivre chez sa fille Marie (mariée COLLEAU) qui habite à Césarville. Elle profitera ainsi de ses petit-fils. Elle s’éteint le 16 mars 1894 aux alentours de 23 heures, chez sa fille, à l’âge de 81 ans. Son gendre et son petit-fils Désiré COLLEAU déclarent le décès en mairie le lendemain matin.
Qui était son accompagnatrice, Célestine BERTEAU?
Revenons à la fameuse carte postale ancienne, afin d’en savoir plus sur la personne qui accompagnait Julienne POISSON à Aix-les-bains. Comme déjà dit, une Célestine BERTEAU existe à Folleville, ce même village ou Julienne et son mari se sont installés en 1836.
Une enfant du pays
A ce moment-là, Célestine BERTEAU est alors âgée de 4 ans, doit gambader dans le village et être connue de tout le voisinage! Née le 28 mai 1832, elle est la fille de Pierre Protais BERTEAU (manœuvrier et marchand) et de Marie BONLEU. Célestine passera toute sa vie dans le petit village de Folleville, comme en attestent les différents recensements entre 1841 et 1891.
Sa vie à Folleville
En 1846, les familles AUDEBERT et BERTEAU sont l’une à la suite de l’autre dans le fichier du recenseur. Il y a donc de très grandes chances, que ces deux familles soient voisines, et que Julienne et Célestine se connaissent bien :
On y voit que Célestine a alors deux grandes sœurs de 18 ans et 16 ans, et une petite sœur de 12 ans. Cinq années plus tard, en 1851, Célestine, 19 ans, est la seule des filles à être restée avec vivre avec les parents. Les trois autres se sont mariées ou sont domestiques dans des fermes alentour.
Célestine reste alors célibataire et sans profession, jusqu’au décès de sa mère, le 1er juillet 1871. C’est à partir de là qu’elle se déclare couturière et reste vivre avec son père et sa nièce, la fille d’une de ses sœurs aînée. Célestine a alors 38 ans et sa nièce en a 15.
Le 1er septembre 1881, c’est Pierre Protais, le père de Célestine, qui décède. Il est alors âgé de 81 ans. Son décès sera déclaré en mairie par le garde-champêtre et un ami du défunt. C’est également au début des années 1880 que Célestine va cohabiter avec une autre de ses nièces, Clothilde LESTANG, née en 1855 à Orléans, et qui sera l’épicière du village. Elles vont compléter leurs revenus en accueillant des enfants abandonnés, ou en nourrice, comme en 1891 avec la petite Augustine ANDREE, 7 ans, et le petit René POINTEAU, 10 mois.
Célestine décède le 31 octobre 1894, dans sa maison de Folleville, quelques mois seulement après sa voisine Julienne. Elle ne s’est jamais mariée et n’a sans doute quitté qu’à de rares occasions son hameau natal au cours de sa vie. Au moins une fois, pour voir Aix les Bains, son lac et ses montagnes !
Cet article est rédigé dans le cadre des « ateliers blog » de CLG Formation-Recherches. Le thème du mois d’Août est : Une carte postale ancienne.
Les actes d’état-civil et les fichiers de recensement présentés dans cet article provienne des Archives Départementales du Loiret.
Belle enquête passionnante !
Bravo pour ce travail de recherche
Félicitation, une enquête résolue grâce une bonne recherche méthodique!
Quel beau travail de recherche à partir d’un petit bout de papier qui les fera rester dans les mémoires.