Nous sommes aujourd’hui le vendredi 14 mars 2025. Il y a cent ans, jour pour jour, Antoine LANAUD perdait la vie, chez lui, dans sa chambre, à Triguères. Dans la première partie de ce récit, je vous ai présenté son histoire d’amour avec Berthe DAMICHEL, et cette funeste journée du 14 mars 1925. Vous trouverez ici la suite de l’affaire.
L’enquête entre le Loiret et la Saône et Loire
Les interrogatoires à Triguères et ses alentours
Le lendemain matin, la gendarmerie de Chateaurenard est prévenue de l’incident par le maire de Triguères. Les gendarmes se rendent sur place pour mener l’enquête. Maurice GENTY et Henri AULANIER, gendarmes à cheval, arrivent chez les LANAUD. L’enquête commence par l’interrogatoire du voisinage, du fils et des personnes qui étaient présentes lors de la découverte macabre. Sont alors interrogés, tour à tour :
- François LANAUD, fils, vingt-six ans, mécanicien à Saint-Denis ;
- Françoise PINARD, cinquante-six ans, ménagère à Triguères ;
- Robert PLÉ, dix-neuf ans, fils de la cafetière au Café de la Gare, à Triguères ;
- Marcel TRIGOLET, intérimaire 2ème classe à la gare de Triguères.
Tous racontent leur version des faits, la découverte du corps de Monsieur LANAUD et le sauvetage de Berthe DAMICHEL.
Le lundi 16 mars, Berthe est interrogée par Pierre BELLEAU, juge d’instruction de l’arrondissement de Montargis. Rapidement, elle en vient à donner sa version de la soirée du samedi 14 mars, en expliquant qu’elle était lassée et fatiguée de voir son époux souffrir en permanence. Antoine et Berthe auraient pris la décision de mourir ensemble, selon ses dires. Vers 17h30, elle a pris son réchaud à lessiveuse, stocké dans une cabane. Après l’avoir allumé sous la tonnelle, et monté dans la chambre, elle le posa au pied du lit de son mari. Après avoir déposé, sur la table de la cuisine, un mot pour son fils, commençant par « Pardonne-nous, nous sommes trop malheureux. Nous avons résolu d’en finir » elle s’est couchée vers 18h20 dans un petit lit, tout proche de celui d’Antoine. « Tout est prêt » lui dit-elle, sans savoir s’il l’a réellement entendue. Puis, elle s’est laissé partir, au fur et à mesure que la chaleur et les fumées saturaient la chambre. Elle explique au magistrat avoir été ranimée par ses voisins et exprime, à chaud, des regrets suite à son geste.
Les examens médicaux
Henri MAZINGARBE, docteur en médecine à Montargis, est chargé par le Juge d’instruction de Montargis, d’examiner les époux LANAUD le lundi 16 mars. Ses conclusions au sujet d’Antoine sont sans équivoque : Il a succombé à une intoxication au monoxyde de carbone. Cette dernière a très certainement été accélérée par la mauvaise santé de la victime. L’autopsie a également révélé qu’il était touché d’affections organiques au foie et aux reins, confirmant la maladie qui l’a consumé pendant de longs mois. Il aurait pu vivre quelques mois encore, trois tout au plus.
Lors de son examen, Berthe a les yeux fuyants et hagards. Elle alterne les états d’agitation nerveuse et les phases de prostration. Insomnie, maux de tête puissants. Tout danger de mort est écarté, mais elle est sous le choc de ce qu’elle a vécu. Elle est sujette aux insomnies, à de violents maux de tête et son rythme cardiaque est irrégulier. Le docteur confirme, là aussi, une intoxication au monoxyde de carbone
L’enquête avance
Une procédure contre X est ouverte pour homicide volontaire le 16 mars 1925,par Pierre BELLEAU, juge d’Instruction à Montargis. La première partie de l’enquête se déroule à Triguères et dans le Loiret. À la fin avril et début mai 1925, l’enquête s’étend vers les villes dans lesquelles les époux LANAUD ont vécu. Tous les témoignages et toutes les dépositions sont sans équivoques, les époux ont toujours semblé unis et très amis. Il n’est jamais paru de dissentiment ou désaccord entre eux. La moralité d’Antoine et Berthe n’est jamais remise en cause, tous les deux étaient très estimés de leurs amis, voisins et collègues.
Comprendre leur vie, pour comprendre ce geste
L’enquête de la gendarmerie permet effectivement de considérer que les LANAUD forment un couple sans histoire, amoureux depuis leur rencontre, pouvant compter l’un sur l’autre pour surmonter toutes les épreuves de la vie. Seulement, il apparait que Berthe DAMICHEL n’était pas toujours le meilleur soutien pour son époux malade. Des témoins ont plusieurs fois affirmé qu’elle se plaignait plus que son mari et qu’elle n’avait pas les épaules assez solides pour gérer cette situation seule. Selon d’autres, la peur de la solitude l’aurait poussée à agir. Il apparait même qu’Antoine n’avait jamais émis le souhait de se suicider à quiconque, contrairement à ce qu’affirme Berthe lors de son interrogatoire du 31 mars :
« Je maintiens cependant mes déclarations. Le 14 mars, j’ai averti mon mari de ma détermination. Je lui ai dit : « Nous allons mourir tous les deux, nous serons délivrés ». Il répondit « Oui, finissons-en ». J’ai écrit une courte lettre à l’adresse de mon fils par laquelle je lui disais adieu et lui demandais de nous pardonner. Je pris le réchaud dans la cabane au fond du jardin, le bourrai de charbon, l’allumai puis le montai dans notre chambre. Je dis à mon mari : « le fourneau est là ». Il me répondit seulement « nous n’avons plus qu’à attendre ». Et je ne sais pas ce qui s’est passé depuis. »
A la question du juge d’instruction, pour savoir ce qui l’avait poussée à réaliser ce geste le samedi 14 mars au soir, Berthe a expliqué qu’elle souffrait trop de voir son mari dans cet état. Déprimée, elle n’avait pas eu de nouvelles de son fils depuis une semaine. Hormis une cousine de son mari, qui était venue un mois auparavant, et Joseph, son frère qui vit à Evian, Berthe affirme n’avoir que peu de famille qui s’enquit de son sort.
L’épilogue : le procès et la fin de vie de Berthe
La vie d’après, sans Antoine
Depuis la mort de son mari, Mme LANAUD est installée chez Mme Veuve PLÉ, au café de Triguères. Elle est régulièrement interrogée par les gendarmes ou par le juge d’instruction jusqu’à la fin de l’enquête. Très peu de changement dans ses dépositions, qui sont visiblement considérées comme crédibles et sincères par le juge d’instruction.
La dépouille de son mari est retournée sur ses terres d’origine, en Saône-et-Loire. L’ancien chef de gare est inhumé à Lugny, dans le même cimetière que ses parents, François et Julie LANAUD, décédés respectivement le 7 janvier 1903 et le 23 décembre 1924.
L’inculpation, l’attente
Berthe, quant à elle, est inculpée d’homicide volontaire le 24 mai 1925, par le procureur de la République près le Tribunal de Première Instance de l’arrondissement de Montargis. Un procès devant la Cour d’Assises du Loiret est prévu pour la troisième session annuelle, le 9 juillet 1925.
Cependant, il n’est aucunement mentionnée d’incarcération, que ça soit dans les procès-verbaux de gendarmerie, dans la presse ou bien encore dans les registres d’écrous conservés aux Archives Départementales. Tout porte à croire que dans son piètre état psychologique, Berthe ne représentait aucune menace et n’aurait pas essayé d’échapper à la justice.
François LANAUD, son fils, avait demandé à pouvoir rapatrier sa mère, ainsi que les affaires de ses parents, vers le village de Lugny. Son amour de toujours a cessé de souffrir. Plus rien ne la retient dans cette région, hormis la justice, qui n’a pas autorisé Berthe à quitter le Loiret avant le procès.
Le procès, aux Assises d’Orléans
Le jeudi 9 juillet 1925, du monde se presse, rue de la Bretonnerie à Orléans. Une bonne partie de la journée est dédiée au procès contre Berthe DAMICHEL. Elle comparait libre, sur le banc des accusés. Elle est défendue par Maitre SÉJOURNÉ, avocat montargois.
La journée est longue pour l’accusée. L’acte d’accusation est lu, les témoins se succèdent à la barre, elle est interrogée à son tour. Le parquet fait son réquisitoire puis c’est au tour de l’avocat de la défense de plaider. Berthe, bien que très triste de ne plus avoir son mari à ses côtés sait, au fond d’elle, qu’elle a pris la meilleure décision qui puisse pour abréger ses souffrances.
Tous les témoins ont été plutôt favorables envers l’accusée, à l’exception de Monsieur LEROUX. Cet inspecteur des contrôles de l’Etat sur la ligne ferroviaire de Montargis avait une fois remarqué, lors d’une visite chez les LANAUD, que Berthe ne remontait pas assez le moral de son pauvre mari. L’avocat général, quant à lui, a aussi dit au cours de son réquisitoire, que Madame LANAUD avait été « inspirée par un sentiment d’égoïsme et qu’elle a désespéré de son propre sort au moins autant que son propre mari ».
La presse rapporte une réplique poignante de Maitre SÉJOURNÉ avant les délibérations du Jury: « Si le mari pouvait revenir, il vous dirait que vous n’avez pas le droit de la condamner ».
Une seule et unique question est posée aux membres du jury : « DAMICHEL Berthe, veuve LANAUD, est-elle coupable d’avoir à Triguères, le 14 mars 1925, volontairement donné la mort au sieur LANAUD Antoine ? » Ce à quoi le Chef du jury, debout, la main placée sur le cœur, dit : « sur mon honneur et ma conscience, devant Dieu et devant les hommes, la déclaration du Jury est « non » pour les faits principaux et leurs circonstances ».
Berthe DAMICHEL est acquittée. Elle peut dorénavant rentrer dans son pays. Plus jamais elle ne retournera dans le Loiret, devenu une boite à souvenirs épouvantables.
Evian-les-Bains, dernier arrêt
Elle part retrouver un semblant de famille auprès de son petit frère, Joseph DAMICHEL. Ce dernier est sellier à Evian-les-Bains. Berthe y reste deux mois à peine. Puis elle décède, à l’adresse où son jeune frère dispose de son atelier de sellerie, au numéro 90 de la Rue Nationale. Les causes de son décès ne sont pas connues. Je n’ai pas réussi à savoir si Berthe avait pu rejoindre son cher Antoine au cimetière de Lugny.

Atelier DAMICHEL, au n°90 rue nationale, à Evian-les-Bains (maison à droite) – Collection personnelle
Cette histoire, malgré sa tristesse, nous apporte bien des questionnements. Le débat sur la fin de vie, bien que brûlant aujourd’hui, l’était tout autant il y a un siècle. D’ailleurs, l’affaire LANAUD/DAMICHEL n’est pas un cas isolé dans le Loiret en 1925, puisque plusieurs cas similaires ont heurté la région cette même année. Berthe a-t-elle fait passer son besoin d’en finir, avant la vie de son époux malade? Le jury, à l’époque, a décidé que non. L’amour réciproque qu’ils se sont portés l’un à l’autre, durant toute leur vie, a pesé dans la décision d’acquitter Berthe. Elle seule sait ce qui s’est passé ce 14 mars 1925, dans cette chambre, avec son mari. Elle connaissait Antoine mieux que quiconque, et l’a accompagné son époux du mieux qu’elle a pu.
Cet article est rédigé dans le cadre des ateliers blog de CLG Formation-Recherches. Le thème du mois de janvier est : « une année en 25».
Le dossier du procès DAMICHEL aux Assises est disponible aux Archives Départementales du Loiret, sous la cote 2U/22698.
Merci pour ce récit poignant. Comme tu le soulignes, les exemples ne manquent pas. Il est malheureux que le débat n’en finisse pas et qu’une loi à la hauteur n’ait pas encore été promulgué. Bonne continuation et bonne pioche ! Régis
Merci Régis! Et oui, certaines de nos problématiques actuelles l’étaient déjà des dizaines d’années avant nous…
J’ai pu échanger avec les descendants, qui ne connaissaient pas cette histoire!
Quelle belle histoire ! Je n’ai pas les mots pour dire à quel point elle m’a bouleversé.
Bravo David. Grâce à ton sens du récit, tu as fait revivre ces deux êtres, ne serait-ce que le temps d’une lecture.
Merci de nous avoir fait partagé ces vies.
Merci Charles Emmanuel!
Merci David pour cette histoire très bien racontée.
Merci aussi de parler d’un sujet difficile comme la fin d’une vie mais également
de la difficulté pour les aidants d’affronter la maladie d’un être aimé.
Pascale