Il y a quelques mois, j’ai acquis, sur un site internet, deux photos anciennes. Elles étaient vendues séparément, mais par un seul et même vendeur, qui les avait nommées « Cdv fin 19eme femme robe bijou chignon Mme Martin de Rebrechien (45) » et « Cdv fin 19eme homme costume nœud papillon Mr Martin de Rebrechien (45) ». Il n’en fallait beaucoup plus pour aiguiser ma curiosité généalogique ! Que vais-je donc pouvoir trouver sur eux ? C’est ce que je vous propose d’aborder au travers de cet article, en y allant étape par étape !
Décrypter ces photos anciennes
Quelques jours plus tard, je reçois les deux photos à la maison. Elles sont protégées par une pochette en plastique, puis une enveloppe matelassée. Elles n’ont subi aucun dommage durant le transport postal, je les trouve en bon état !
La photographie professionnelle, au début du XXe siècle, est influencée par des modes qui changeaient régulièrement, que ça soit la taille de la photo, l’épaisseur la teinte du carton, le type de contour, le médaillon, etc. Ici, les deux photos sont de dimension identique (6,5 x 10,5 cm) et sont collées sur une carte d’un millimètre d’épaisseur, plutôt rigide. La photo est entourée d’un liseré rouge aux coins arrondis. Les deux cartes ont également les coins arrondis. Les sujets apparaissent dans un médaillon ovale au contour blanc. Le papier photo est légèrement glacé et non rugueux. Peut-être que le glaçage s’est estompé avec le temps.
Il n’y a pas de doute possible, ces portraits ont été réalisés en même temps et au même endroit. Toutefois, il n’est pas possible de déterminer ni où ni par qui ces clichés ont été pris, le nom du photographe n’apparaissant nulle part. A l’arrière des photos, il reste sur chacune d’elles un résidu de bande adhésive colorée rose claire. Il y est noté, sur l’une, au stylo bleu « Tante de Rebréchien Blanche Martin », tandis que sur l’autre apparait la mention « Oncle Ernest Martin de Rebréchien », soit déjà assez d’informations pour nous mettre sur une piste !
Le nom du photographe aurait été un plus pour dater, mais l’observation de ces portraits permet de déterminer qu’ils datent de la fin du XIXe, ou du début du XXe siècle, vraisemblablement entre 1895 et 1910 au plus tard.
L’identification des sujets sur ces photographies
J’entreprends ensuite des recherches pour découvrir qui sont cet homme et cette femme ayant visiblement vécu à un moment de leur vie à Rebréchien. Après quelques clics sur le site des Archives Départementales du Loiret, j’accède au recensement du village pour l’année 1906 je trouve, en page 3, un couple, Ernest MARTIN et Blanche LEFAUCHEUX. Par acquis de conscience, je feuillette tout le registre pour vérifier qu’il n’y ait pas d’homonymes, ce qui n’est pas le cas.
J’ai donc très facilement retrouvé une première trace de ces personnes, en quelques clics. On apprend ici qu’Ernest MARTIN est né en 1871 à Loury, qu’il est menuisier et qu’il est son propre patron. Sa femme se nomme Blanche LEFAUCHEUX, elle est née en 1874 à Rebréchien et n’exerce aucune profession. Ils vivent avec leur neveu, Paul MARTIN, alors âgé de 13 ans.
Cette première information est primordiale pour poser les recherches sur de bonnes bases et ne pas faire fausse route : ces deux personnes sont bien en couple et nous avons leur lieu et année de naissance. Ne reste qu’à pousser les recherches pour en savoir plus.
Leur enfance au travers leur acte de naissance et les recensements
Ernest, natif de Loury
Ernest MARTIN est né le 11 septembre 1871 au bourg de Loury. Il est le fils d’Anatole MARTIN, un scieur de long âgé de 36 ans et de Marie Clémentine GIRAULT, 39 ans. Voici son acte de naissance :
Il passe toute son enfance à Loury, comme en atteste les recensements de la commune de 1872, 1876 et 1881.
Je ne retrouve pas sa trace en 1886, il est très certainement en apprentissage chez un patron dans un village alentours…
Vient ensuite l’adolescence, puis le service militaire, en novembre 1892, au 113ème Régiment d’Infanterie en garnison à Blois. Sa fiche matricule militaire indique qu’il est domicilié à Loury et qu’il est scieur de long, comme son père. Ce métier n’existe plus aujourd’hui, il s’agissait de couper des troncs dans le sens de la longueur, pour y tailler des planches. Ce travail s’effectuait à deux et nécessitait une grande force physique. Les scieurs de long proposaient leurs services aux propriétaires forestiers ou aux marchands de bois. La région de Loury et de Rebréchien en comptait plusieurs, car localisée en lisière de la Forêt d’Orléans.
Après son service militaire, Ernest MARTIN part vivre durant quatre années en région parisienne : à Melun puis Paris, avant de revenir à Rebréchien en 1898.
Blanche, la rebriocastinoise
Blanche LEFAUCHEUX, elle, semble avoir passé toute sa jeunesse à Rebréchien. Elle nait le 30 mai 1874 au bourg , chez ses parents, Victor Eugène LEFAUCHEUX (menuisier) et Caroline Aglaé PELLETIER. Blanche n’est que son troisième prénom, mais c’est celui que ses parents choisiront pour la vie de tous les jours.
Son père est menuisier à son compte à Rebréchien. Il dispose de son atelier, et même d’un ouvrier, qui vit sous leur toit. Il est recensé avec la famille en 1881, la petite Blanche n’a alors que 8 ans.
Cinq années plus tard, en 1886, on retrouve Blanche, âgée de 12 ans, qui vit avec ses parents dans le bourg du village. En revanche, cette fois-ci, il n’y a plus d’ouvrier pour épauler le patron menuisier. Un jeune apprenti de 15 ans vit au sein du foyer LEFAUCHEUX: il s’agit d’un certain Ernest MARTIN ! Ces deux-là se connaissent en fait depuis l’adolescence !
Leur union via l’acte de mariage
Comme le veut la tradition, c’est très souvent dans le village de la future épouse que le mariage est célébré. Et effectivement, en 1898, Blanche et Ernest décident de se marier à Rebréchien. Lui est toujours domicilié à Paris, au 44 Rue de la Fédération, à deux pas de la Tour Eiffel, construite à peine dix ans auparavant. Les bans sont publiés les 2 et 9 octobre 1898 à la mairie de Rebréchien et à celle du 15ème arrondissement de Paris, puis le mariage est officialisé le samedi 15 octobre à 10 heures.
Les parents des époux sont tous les quatre présents et consentants pour sceller cette union. Il reste une trace écrite des époux, leur signature sur l’acte de mariage :
C’est finalement la forêt, le bois et son artisanat qui auront réuni ces deux familles, comme tant d’autres à Rebréchien et Loury. Situées dans la clairière de la Forêt d’Orléans, les habitants ont depuis toujours vécu de l’exploitation des ressources forestières, du bûcheronnage, de la charpenterie et de la menuiserie.
Leur vie de famille, via les recensements, matricule militaire, registre d’école
Ernest est appelé, au début de l’année 1907, pour une période d’exercices militaires. Il en est toutefois exempté car il fait partie de la vingtaine de sapeurs-pompiers que compte le village.
Sur les recensements de 1906 et 1911, Ernest et Blanche vivent au bourg de Rebréchien, et ont sous leur toit leur neveu, Paul MARTIN, durant toute son adolescence, venu apprendre la menuiserie auprès de son oncle. La famille s’agrandit le 3 novembre 1911 avec la naissance de leur fils, Roger Ernest Fabien. C’est Ernest qui déclare en mairie la naissance de son fils, accompagné de Victor Eugène LEFAUCHEUX, grand-père paternel de l’enfant, et Désiré FLAMERY, instituteur du village. Cet enfant passera toute sa jeunesse auprès de ses parents, jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge adulte.
En Août 1914, Ernest, alors âgé de 42 ans, est mobilisé et doit laisser son petit Roger aux bras de sa maman. Il n’a que trois ans et ne comprend pas ce qui se passe. Ernest participe à la Première Guerre mondiale pendant quasiment toute la durée du conflit. Il sera affecté au service des GVC, les Gardes des Voies de Communication, jusqu’à l’été 1915, puis dans diverses sections de la COA, la Compagnie d’Ouvriers d’Artillerie, septembre 1918. Il sera définitivement libéré de ses obligations militaires en décembre 1918.
Blanche, quant à elle, a vu son fils grandir et l’a même inscrit à l’école. Il est entré à l’école municipale le 14 juin 1915 et y est resté pendant 3 ans, avant de rejoindre l’école des garçons qui a ouvert à la fin de la guerre, le 9 novembre 1918.
A son retour au village, Ernest reprend son activité de menuisier. On le retrouve d’ailleurs dans l’annuaire général d’Orléans et des communes du Loiret, en 1911 et 1913. Il est le seul menuisier du village. Puis dans l’annuaire de 1921, un deuxième menuisier s’y est installé en la personne de Julien BARON.
Ce couple restera vivre à Rebréchien jusqu’à la fin de leur vie. Ernest MARTIN continuera son activité de Menuisier jusqu’aux années 1934 – 1935, avant de rendre ses outils et fermer son atelier.
Leur fin de vie, via les actes de décès et le registre des concessions
Blanche LEFAUCHEUX décède le 1er octobre 1943 en fin de matinée, à l’âge de 69 ans, à son domicile au bourg de Rebréchien. C’est Ernest qui vient à la mairie quelques heures plus tard déclarer le décès au maire du village, Sadi GENTÉ.
Ernest lui survivra une quinzaine d’années. Il vit seul à Rebréchien et est alors sans profession, d’après les recensements de 1946. Mais c’est à Neuville aux Bois qu’il s’éteint, le 29 juillet 1959 à l’hospice Saint-Germain, à l’âge honorable de 87 ans (devenu depuis l’Hôpital Pierre Lebrun). C’est monsieur Maurice EQUY, le directeur de l’établissement qui déclare son décès le lendemain à la mairie.
Il rejoint alors son épouse au cimetière du village où il a vécu la plus grande partie de sa vie. Il est inhumé dans la sépulture familiale des LEFAUCHEUX, concession que Blanche avait achetée en février 1927.
D’autres pistes de recherches à explorer
Voici comment à partir de photos anciennes trouvées par hasard sur Internet, on peut retracer la vie de ces personnes. En connaitre un peu plus sur leur vie nous permet de mieux appréhender le contexte de ces photographies. Leurs vêtements sont plutôt chics, mais il ne semble pas que la photo soit prise au moment de leur mariage. D’autant plus que des mariés sont généralement photographiés ensemble plutôt que séparément.
La réouverture des Archives Départementales du Loiret dans le courant du premier semestre 2024 devrait permettre d’en découvrir plus sur eux. L’enregistrement, le cadastre ou bien encore les archives communales qui ont été versées aux Archives Départementales permettraient à coup sûr d’ajouter des détails à leur vie. Les anciens du village sont aussi à questionner. Maintenant que les personnes sur ces deux photos anciennes ont été identifiées, une recherche généalogique ascendante est également réalisable! Peut-être dans un prochain article.
Quoi qu’il en soit, ces deux photographies doivent revenir aux descendants ou collatéraux de cette famille. Dès que j’en aurai retrouvé, je leur restituerai. Et si vous en connaissez (Rebréchien est un tout petit monde), n’hésitez pas à me le faire savoir !
Cet article est rédigé dans le cadre des ateliers blog de CLG Formation-Recherches. Le thème du mois de février est : « un couple »
Magnifique enquête, j’espère que vous retrouverez leurs descendants !
Merci! Oui, également! Quand les AD du Loiret auront ouvert leurs portes, je trouverai la réponse à coup sûr!
Magnifique travail de recherches ! J’espère que tu pourras trouver des informations supplémentaires aux AD et leur trouver des descendants.
Merci Noëline!
Bravo David! Une jolie plume et une rigueur teintée d’une forte ténacité au service d’une passionnante découverte!
Merci Candice!
Merci Monsieur pour cette recherche et votre narration.
Mes ancêtres maternels venaient également de Rebrechien et Bougy-les-Neuville.
Madame Le faucheux Jeannine née le 06/05/1931 à Rebrechien est décédée le 10/11/2023 .
Elle était la tante par alliance de ma maman.
J’espère vous lire prochainement pour la suite de vos recherches et la découverte des descendants de ce couple.
Merci à vous! Je ferai certainement un autre article pour étoffer la vie d’Ernest et Blanche! Je connais bien Bougy-Lez-Neuville, charment (tout) petit village!