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Vivre cent ans. Dans l’imaginaire collectif, devenir centenaire a pendant très longtemps été inimaginable. Des vies qui durent un siècle, voire plus, on en trouve dans les archives des XVIII et XIXe siècle, mais très peu sont vérifiables. Au XXe siècle, on trouve des histoires bien plus faciles à authentifier.

Lors de recherches sur Internet, je suis tombé sur un lot de photos à vendre. Ce sont elles qui m’ont donné envie d’écrire cet article sur les centenaires. Vous les trouverez à la fin de cet article. On y voit une vieille dame, fêter ses cent ans, dans son village de La-Selle-sur-le-Bied, dans le Loiret.  Voici son histoire.

La vie de Louise Alexandrine BEZAULT, née SEGUIN

Sa jeunesse

C’est un beau matin du printemps 1827, le jeudi 10 mai, que commence la longue vie d’Alexandrine. Cette enfant est la fille de Mathieu SEGUIN, manœuvre, âgé de trente-et-un ans, et de Madeleine BOUGUEREAU. Cette dernière accouche là de son sixième enfant, une troisième fille. Nous sommes alors sous le règne de Charles X, alors roi de France depuis 1824, qui restera jusqu’en 1830.

Acte de naissance de Louise Alexandrine SEGUIN

Acte de naissance de Louise Alexandrine SEGUIN – Archives Départementales du Loiret

Le lieu de naissance d’Alexandrine n’est pas clairement précisé sur son acte de naissance, il faut se satisfaire d’un « en cette commune », sans rattachement à un quelconque bourg ou hameau qui compose le village de La-Selle-sur-Le-Bied.

Extrait de la carte de Cassini, représentant le village de La Selle sur le Bied et ses environs au XVIIIe siècle

La Selle sur le Bied sur la Carte de Cassini, XVIIIE siècle – Géoportail.fr

Alexandrine SEGUIN passe toute sa jeunesse entre La Selle-sur-le-Bied et le village voisin de Triguères. Sur la fratrie de sept enfants, elle n’en côtoie vraiment que trois, puisque deux de ses grands-frères (André et Edmé), et son petit frère (Louis Amand Joseph) décèdent en bas âge.  Son autre frère aîné, Louis, décède à Triguères le 26 septembre 1840, à l’âge de dix-sept ans. Alexandrine, elle, n’en a que treize. Il ne lui reste donc plus que ses deux grandes sœurs, Marie Madeleine, née en 1820, et Edmée Rosalie, née en 1825.

Sa jeunesse, elle la passe peut-être sur les bancs de l’école, mais très certainement aux champs et à la ferme, pour aider ses deux parents, qui resteront manœuvre toute leur vie. Le Royaume de France a, depuis le 9 août 1830, basculé dans la Monarchie de Juillet. Le règne de Louis Philippe prend fin le  24 février 1848. Jusqu’à sa majorité à vingt-et-un ans, Alexandrine connait la France uniquement sous le régime de la Royauté.

Le mariage, la vie d’adulte

La jeune femme rencontre un laboureur du village, Antoine BEZAULT, avec qui elle se marie le quatre février 1856, à La-Selle-sur-le-Bied. C’est un nouveau et grand chapitre de sa vie qui s’ouvre, à l’âge de vingt-neuf ans.  Le pays, quant à lui, a pendant ce temps, goûté à la Seconde République de Louis Napoléon Bonaparte (1848-1852), puis au Second Empire (1852-1870) de ce même Napoléon III, devenu empereur.

Carte postale ancienne représentant l'église de La-Selle-sur-le-Bied, dans le Loiret, vers 1920.

Eglise de La-Selle-sur-le-Bied – Collection personnelle

Deux ans après leur mariage, une première fille vient au monde. Elle se prénomme Alexandrine Hortense Amanda BEZAULT, et nait le 12 janvier 1858 au hameau de Grand’Maison, toujours à La Selle-sur-le-Bied.

Un second enfant, un petit garçon, nait quatre ans plus tard, à la ferme des Bouquins. Alexandrine, qui a alors trente-deux ans, donne naissance à son fils, Antoine Désiré BEZAULT, le 11 septembre 1859. Le couple n’aura pas d’autre enfant. Ils consacrent alors leur vie à les élever et à travailler à la culture des champs de La Selle-sur-le-Bied et alentours.

La guerre franco-prussienne de 1870 se profile, balaye le nord du pays en à peine plus de six mois, l’amputant de l’Alsace et la Lorraine. L’empire tombe et laisse place à la Troisième République. Adolphe THIERS en devient le premier Président. Ce régime perdure jusqu’en 1940. Le village de La Selle sur le Bied se pare d’un Monument aux Morts, en l’honneur de ses 12 soldats morts au combat. Alexandrine et Antoine les connaissaient ces gamins, sans aucun doute.

1883, Alexandrine devient grand-mère

La première trace d’Alexandrine et son époux Antoine, dans les recensements de La-Selle-sur-le-Bied se trouve en 1881. Le couple vit alors au hameau des Bégats, respectivement âgés 55 et 59 ans. Leur fille aînée, Amanda, vit toujours avec eux, tandis que leur fils Antoine Désiré au service militaire au sein du 35e Régiment d’Infanterie à Belfort.

Recensement de 1881, sur lequel on retrouve Alexandrine BEZAULT, vivant avec sa femme et son fils au hameau des Bégats, à La-Selle-sur-le-Bied

Recensement de 1881 à La-Selle-sur-le-Bied – Archives Départementales du Loiret

Amanda se marie la première, le 20 juin 1882 avec Adrien PINGRIN, un cultivateur. Ils ont ensemble deux filles : Euphrasie nait en 1883, et Blanche nait en 1887.  Alexandrine devient alors grand-mère.

Désiré Antoine, quant à lui, se marie le 28 avril 1886 à La Selle, avec Lucie LOISEAU.  Ils apportent, eux aussi, une petite fille à Alexandrine et Antoine BEZAULT, dorénavant des grands-parents comblés. Ils restent vivre à la ferme des Bégats au moins jusqu’en 1901. Alexandrine a 74 ans.

Au revoir Antoine, puis la guerre

Alexandrine quitte ensuite la ferme des Bégats, où elle a passé plus de vingt années de sa vie, pour rejoindre le hameau de Grand’Maison, où elle a donné naissance à sa fille aimée, près de cinquante ans plus tôt.  Le couple n’y reste que quelques années, avant de s’installer aux Soupirons.

Antoine décède au début de l’année 1911, le vingt-et-un janvier. Il a quatre-vingt-huit ans. Il laisse Alexandrine, sa veuve, continuer seule un bout de chemin, avec le soutien de ses enfants et ses petites filles. D’ailleurs, sa fille Amanda vit dans la maison d’à côté, aux Soupirons.

Les années qui suivent sont parmi les plus sombres de l’Histoire de France. Cinq années de terribles combats, qui ont secoué toutes les générations et toutes les strates de notre société. Les anciens espèrent ne pas revivre l’enfer de 1870. Ça sera dix fois pire. Du moins en nombre de victimes. Le 2 août 1914, les affiches annonçant l’ordre de mobilisation générale sont placardés à plusieurs endroits dans le village.

Affiche indiquant l'Ordre de mobilisation générale, placardée partout en France le dimanche 2 août 1914.

Ordre de mobilisation générale du 2 août 1914

Le premier recensement d’après-guerre, réalisé en 1921, nous indique qu’Alexandrine vit toujours aux Soupirons, près de chez sa fille Amanda, et petite fille Blanche. Son autre petite fille, Euphrasie Alice, habite à moins de 300 mètres de là, au hameau du Marchais Moret.  Alexandrine a maintenant 94 ans.

Recensement de 1921 à La-Selle-sur-le-Bied. On y retrouve Alexandrine BEZAULT, vivant auprès de sa famille

Recensement de 1921 à La-Selle-sur-le-Bied – Archives Départementales du Loiret

 

Une grande fête pour un grand âge

Tout un village uni pour célébrer la centenaire

Le mardi 10 mai 1927, c’est un grand jour pour la famille BEZAULT. Alexandrine, la doyenne du village, et peut-être même de la région, fête ses cent ans ! Il n’est pas impossible que la famille ait fêté le centenaire en petit comité. Mais la municipalité a vu les choses en grand et souhaite célébrer ce centenaire en grandes pompes le dimanche suivant.

Cet évènement, célébré dans les rues de La-Selle-sur-le-Bied, a été photographié à l’époque et vendu chez le libraire du bourg sous la forme d’une série de dix cartes postales.

La centenaire, demeurant chez sa petite fille Alice, au Marchais Moret, arrive dans le bourg à 15h30.  Elle est confortablement installée dans une automobile, en provenance de la route de Ferrières. Pour l’occasion, un arc-de-triomphe, composé de branches, de fleurs et de verdure est installé sur le passage.

Carte postale ancienne représentant la fête organisée pour le centenaire de Mme BEZAULT. Voici le char de la centenaire qui passe dans la rue de l'église

Centenaire de Madame BEZAULT – Char de la centenaire, rue de l’Eglise – collection personnelle

Le cortège parcourt le village

Un cortège se forme. On trouve en tête le groupe de tambours et clairons « Le Réveil de Griselles », puis l’automobile transportant la centenaire. Derrière suit une autre voiture, transportant des membres de la famille. La marche se ferme par un char fleuri, des membres de la municipalité, et enfin les enfants de l’école.

Carte postale ancienne représentant la fête organisée pour le centenaire de Mme BEZAULT. Ici, le défilé en musique, qui passe dans la rue de Ferrières, à La-Selle-sur-le-Bied

Centenaire de Madame BEZAULT – Le défilé en musique – Collection personnelle

Carte postale ancienne représentant la fête organisée pour le centenaire de Mme BEZAULT. Ici, le passage d'un char fleuri transportant des enfants du village, pendant le défilé.

Centenaire de Madame BEZAULT – Le défilé et chars – Collection personnelle

Ces clichés peu communs permettent de retracer ce qui a été organisé et comment a été célébré la centième année de la vie d’Alexandrine. Les rues du village, noires de monde, attestent de l’engouement pour cet évènement ! Les rues du village sont fleuries et décorées de guirlandes. Il semble ne pas faire très chaud, pour un 15 mai, puisque les badauds sont bien couverts !

Le cortège poursuit sa route dans les principales rues du village. L’automobile de la centenaire fait un arrêt sur la place de l’église, où elle est reçue par les représentants du clergé catholique.

Carte postale ancienne représentant la fête organisée pour le centenaire de Mme BEZAULT. Ici, sa réception par le clergé catholique.

Centenaire de Madame BEZAULT – Réception par le clergé – Collection personnelle

Le cortège s’arrête enfin devant la Mairie. Le maire de La Selle, Monsieur HERBECQUE, y prononce un discours en l’honneur de l’héroïne du jour. Il égrène, au fil des décennies, depuis 1827, les époques, les épreuves et évènements qu’Alexandrine a traversés au cours de sa longue vie. Le discours est très applaudi par le public venu nombreux.

Carte postale ancienne représentant la fête organisée pour le centenaire de Mme BEZAULT. Ici, la foule, présente place de la mairie, pour assister aux festivités.

Centenaire de Madame BEZAULT – La foule place de la mairie – Collection personnelle

La magnifique cérémonie se termine par une remise de cadeaux (traditionnels bouquet et boîte de confiserie). Puis la vieille dame est raccompagnée chez elle, alors que les villageois  sont conviés à un bal en plein air.

La centenaire disparait

C’est le 14 janvier 1929, à l’âge de 101 ans, huit mois et quatre jours, que le cœur d’Alexandrine BEZAULT a finalement cessé de battre. Elle est décédée à La-Selle-sur-le-Bied, puis a été inhumée dans le cimetière communal.

Tombe d'Alexandrine BEZAULT, située au cimetière communal de La Selle sur le Bied

Tombe d’Alexandrine BEZAULT – Cimetière de La-Selle-sur-le-Bied

Plaque nominative accrochée sur la sépulture d'Alexandrine BEZAULT. Elle est centenaire.

Plaque nominative sur la sépulture d’Alexandrine BEZAULT

Elle en aura vu des changements tout au long de ses 37139 jours de vie ! Des objets du quotidien, si courants pour nous, tels que le taille-crayon (1828) la machine à coudre (1830), le daguerréotype (1838) puis la photographie, le vélocipède (1861), la poubelle (1884) et tous les engins motorisés ont été inventés et commercialisés au cours de sa vie. Le monde a tellement changé en 101 ans. Alexandrine en a été témoin, et même un petit peu actrice. A son échelle.

Carte postale ancienne représentant Mme BEZAULT, une centenaire, assise devant chez elle, à La-Selle-sur-le-Bied.

Madame BEZAULT – Collection personnelle

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