Dans sa quête de retracer le passé de nos ancêtres, le généalogiste cherche continuellement des informations, du contenu, pour reconstituer la vie d’un aïeul. L’enfance est généralement ellipsée, hormis quelques apparitions dans les fichiers de recensement et des photos de famille au début du XXème siècle.
Pourtant, il existe une source documentaire qui peut, en une ou deux lignes, mettre en relief l’enfance et l’instruction de nos charmantes têtes blondes. Il s’agit du registre matricule des élèves.
Présentation du registre matricule des élèves
Le registre matricule des élèves
Le registre matricule des élèves est un document qui recense la totalité des enfants inscrits dans une école. Ce matricule étaient tenu à jour par l’instituteur ou l’institutrice. Plus tard, c’est le directeur de l’établissement scolaire qui alimentait ces registres. Apparu dès la création des écoles, il permettait à la fois de suivre les effectifs et le parcours des enfants à condition d’être complété correctement et de manière assidue.
Le nom de chaque enfant n’y est noté qu’une seule fois, lors de son inscription dans l’école. On attribue une ligne complète du tableau à chaque enfant. L’enseignant ou le directeur complète alors le tableau, avec les informations suivantes :
- Les nom et prénom de l’élève
- La date de naissance de l’élève
- Les nom et prénom des parents ou tuteurs
- La profession et le domicile des parents ou tuteurs
- La date d’entrée à l’école
Par la suite, au fur et à mesure de leur scolarité, le registre matricule des élèves est complété de trois colonnes supplémentaires :
- La date de l’obtention du certificat d’études primaires
- La date de la sortie définitive de l’école
- Des observations ou informations diverses sur les aptitudes ou la conduite de l’élève, un changement d’école, une sortie sans diplôme, etc.
Ces informations sont une mine d’or pour le généalogiste qui peut alors situer, dans le temps et dans l’espace, la scolarité d’un ou une aïeul(e). Si un changement d’école a lieu, l’enfant a droit à un nouvel enregistrement dans le registre matricule des élèves dans son nouvel établissement. Les frères et sœurs scolarisés dans le même établissement, permettent aussi de suivre un éventuel changement de métier ou de domicile des parents.
Le registre matricule du personnel enseignant
Ce registre matricule renferme d’autres informations intéressantes. Les premières pages du document, réservées à cet effet, mentionnent le personnel enseignant. Ainsi on peut facilement reconstituer l’historique des instituteurs et institutrices d’un village.
Comme pour les élèves, les enseignants de l’école disposent d’une ligne, sur laquelle on retrouve une multitude d’informations à leur sujet. Un très bon raccourci pour retracer la carrière professionnelle d’un ou une ancêtre instituteur !
On y retrouve les informations suivantes, par colonne :
- Les nom et prénom de l’enseignant
- Sa date et son lieu de naissance
- La date de sa nomination dans la commune
- Le type de poste : titulaire ou stagiaire
- Les services antérieurs (école où il a étudié et la date de la 1ère nomination)
- Les communes dans lesquelles il a déjà enseigné
- D’éventuelles interruptions de services (dates et causes)
- Les récompenses obtenues
- Les titres de capacité, autrement dit le diplôme obtenu
- La date d’arrêt des fonctions dans la commune
- Des observations sur la carrière de l’enseignant
Comment et où trouver le registre matricule des élèves ?
Ce document a été utilisé dans les écoles de chaque village et ville de France. On peut alors, théoriquement, retrouver la trace de la scolarité chacun de nos parents. Je dis bien « théoriquement », car certains de ces documents ne sont pas arrivés jusqu’à nous.
Le registre matricule des élèves est conservé soit dépôt d’archives de votre département (Série T ou W), soit dans les archives de votre mairie. Plusieurs grandes villes en France ont déjà compris l’utilité de ce document, l’ont numérisé et mis à disposition de ses lecteurs. Son délai de communicabilité est de cinquante ans.
Le service des Archives de la ville de Paris ont, par exemple, numérisé 3600 registres d’admissions d’élèves, sur une période allant de 1848 à 1973. Ces documents sont disponibles sur leur site internet, jusqu’en 1922. Les registres de 1923 à 1973 sont, quant à eux, consultables sur place, via les ordinateurs de la salle de lecture.
Voici quelques registres matricule des élèves qui ont été numérisés :
- Lycée Turgot à Roubaix : https://www.bn-r.fr/notice.php?q=id_origine:TUR_D03
- Plusieurs établissements du Val d’Oise : https://archives.valdoise.fr/
- Les archives de Paris : https://archives.paris.fr/s/42/ecoles-primaires/
L’exemple d’un village du Loiret : Rebréchien
L’école des filles de Rebréchien
L’histoire de l’école de Rebréchien remonte à 1835. Le 22 mai de cette année, la municipalité achète un terrain au Comte de Bradi, pour la somme de 2900 francs. L’acte de vente est signé devant Maitre BOYS, de Rebréchien, et Maitre BORDAS d’Orléans.
Pendant une vingtaine d’années, les garçons et les filles suivent le même enseignement, ensemble. Les bancs de l’école ne sont pas très garnis, les parents n’étant pas toujours enclins à laisser leurs enfants suivre une instruction, alors qu’il y avait les travaux de la ferme et des champs à réaliser.
En 1855, plusieurs projets sont étudiés en vue de construire une école pour les garçons et une autre pour les filles. En effet, la municipalité doit d’abord se mettre en règle avec la Loi Falloux de 1850. Par ailleurs, elle doit agir, suite aux multiples demandes formulées par le préfet du Loiret, qui déplore les très mauvaises conditions d’accueil à l’école des enfants. L’état du logement de l’instituteur est aussi montré du doigt.
Une nouvelle école est donc construite. Les garçons et les filles suivent les cours dans des classes séparées. Les bâtiments existent toujours et sont maintenant partagés entre l’école et la mairie.
Le registre matricule des institutrices de l’école des filles
Lors de recherches à la Mairie de mon village, je suis tombé, tout à fait par hasard, sur le registre matricule des élèves de l’école des filles. Ce registre est en mauvais état. Ce document date, en effet, de 1883 et n’a jamais bénéficié, jusqu’à aujourd’hui, du soin que pourrait lui apporter un dépôt d’archives.
J’ai pu consulter ce registre, qui retrace près de quatre-vingts ans de l’histoire de l’école du village.
Ainsi, la première institutrice mentionnée dans le registre matricule se nomme Elmire CHARPIN. Elle est nominée à l’école de Rebréchien le 27 novembre 1872, et y reste enseignante jusqu’à au moins 1895.
Une autre institutrice, choisie au hasard dans le registre : Madame BRUNET. Elle est née le 30 novembre 1865 à Décize, dans la Nièvre. Sa première nomination dans une école a été à Meung-sur-Loire, en mai 1884. Après être passée par les écoles loirétaines de Saint-Maurice-sur-Aveyron, Nogent-sur-Vernisson, Bray-Saint-Aignan, Courcelles, Girolles et Pithiviers-le-Vieil, elle est nommée à Rebréchien à partir d’octobre 1905. Le registre, abimé, n’indique pas combien de temps elle y est restée.
Un rapide coup d’œil dans les archives de la Nièvre et du Loiret nous apprennent qu’elles bien née à Décize le 30 novembre 1865, sous le nom de Marie Anne Andrée Napoléone JOANNET. A l’âge de vingt-cinq ans, en 1891, elle se marie à Treilles-en-Gatinais, avec un tailleur d’habits de vingt-un ans, Emile BRUNET. Le couple divorce en 1906. Elle se remarie en 1922 à Paris, puis finira ses jours à Puiseaux, au nord du département, où elle est inhumée. Les parents de Marie, Sylvain JOANNET et Pauline CATTIER, marchands de vin, sont restés vivre à Décize.
Ce matricule reprend la liste de vingt-trois institutrices ayant enseigné dans l’école des filles de Rebréchien, jusqu’en 1962. Elle semble exhaustive, puisque l’on trouve dans les recensements de la commune toutes les institutrices mentionnées dans ce registre matricule.
Le registre matricule des élèves de l’école des filles
Le registre matricule des élèves, lui, est plus fourni. Les informations de 977 filles, ayant fréquenté l’école du village, y sont recueillies.
La petite Camille COURTIN, née le 6 avril 1878, entre à l’école des filles du village le 2 octobre 1883. Elle est la fille d’Augustine COURTIN, meneuse de nourrices à Neuville-aux-Bois. Elle est la première élève répertoriée dans le registre matricule. A contrario, la dernière élève de ce registre est entrée à l’école de Rebréchien le 16 septembre 1966.
Le fichier est très soigneusement renseigné pour les premières années. Les cases sont toutes remplies, et la partie observation est utilisée par l’institutrice pour faire un court bilan de la personnalité et les compétences de l’enfant. Puis, vers 1905, les informations commencent à manquer. Les commentaires se font plus succincts et des cases demeurent vides. On trouve également des garçons, qui vont à l’école des filles pendant les trois premières années de leur scolarité. André MARTEAU, par exemple, est né le 30 juillet 1904 à Rebréchien. Le bambin entre à l’école le 6 juillet 1908 et la quitte le 1er octobre 1911, pour rejoindre l’école des garçons.
Ce registre nous propose un vrai voyage dans le temps, On y retrouve, glissé entre deux feuilles, un buvard publicitaire, conseillant aux enfants de ne pas trop s’approcher de leurs livres, afin de ne pas abimer leurs yeux.
Quelques pages plus loin, on y trouve quatre bulletins de naissances provenant des mairies du XIIème, XIIIème et XIVème arrondissements de Paris, datés de 1941 à 1943. Certainement des pièces justificatives à fournir lors de l’inscription de l’enfant dans l’établissement.
A la fin du XIXème siècle, l’école n’était pas toujours une priorité pour bon nombre de familles. Régulièrement, certains parents étaient montrés du doigt, publiquement, par le maire de la commune. Leurs enfants n’étant pas scolarisés, ou de manière très épisodique, l’instituteur alertait alors la mairie sur la nécessité d’un rappel à l’ordre.
Ce registre matricule des élèves met alors en lumière le fait que bon nombre d’élèves n’obtenaient pas leur certificat d’études primaires. Sur 79 filles entrées à l’école de Rebréchien entre 1882 et 1890 :
31 y ont obtenu leur certificat d’études, soit 39% des inscrites.
19 filles ont déménagé durant leur scolarité (24%): on ne sait alors pas si elles ont obtenu leur certificat d’études primaires. En revanche, l’institutrice note bien dans le registre, l’école vers laquelle l’enfant va poursuivre sa scolarité. Il s’agit souvent d’écoles de villages alentours, ou d’Orléans. Des enfants partent également à Paris, ou entrent à l’Assistance Publique.
Il y a alors un taux d’échec d’au moins 35% au certificat d’études primaires à cette période. Il est vrai que l’école tend encore à se démocratiser et que bon nombre de parents, qui, pour leur part, n’ont pas eu la chance de bénéficier d’une éducation scolaire, sont réticents à mettre leurs enfants à l’école de manière assidue.
Les appréciations, le pire et le meilleur
L’école du XIXème siècle n’a pas grand-chose à voir avec celle d’aujourd’hui. La pédagogie et la bienveillance autour de nos enfants n’existaient pas ou peu à l’époque. Autant les bons élèves étaient récompensés et loués, autant les institutrices étaient d’une remarquable franchise envers celles qui obtenaient de moins bons résultats…..
Voici un petit florilège des appréciations et commentaires laissés par les institutrices dans le registre matricule des élèves :
« Cette élève a obtenu une bourse pour l’école Supérieure d’Orléans. Elle désire entrer dans l’instruction. Intelligence remarquable, sa conduite à l’école de Rebréchien a toujours été irréprochable. »
« Cette élève était peu intelligente, ses succès ont donc été à peu près nuls : ce qu’elle sait peut néanmoins lui suffire dans les besoins de la vie, caractère doux et facile. »
« Elève intelligente mais peu studieuse, succès médiocres dans ses études. »
« Elève très intelligente, instruction primaire complète, caractère doux et facile, amour du travail, conduite irréprochable. »
« Elève d’une intelligence ordinaire, fréquentation peu régulière, néanmoins instruction suffisante. »
« Elève ayant un caractère apathique, peu de goût pour l’étude, instruction insuffisante. »
« Elève complètement dépourvue d’intelligence, mauvaise tenue, instruction tout à fait insuffisante. »
« Elève d’une intelligence à peu près nulle, sachant à peine le nécessaire pour se diriger dans la vie. »
Comme je vous le disais en introduction de cet article, peu de sources sont disponibles pour parler de l’enfance. On peut trouver des informations sur les évènements de la vie d’un enfant, oui. Mais aucune ne vous donnera les traits de caractère du bambin, sa soif d’apprendre (ou pas !), voire sa manière de se comporter à l’école et envers les autres. Toutefois, n’hésitez pas, si vous savez où votre ancêtre a grandi, sautez sur l’occasion d’en savoir plus sur sa scolarité !
Cet article est rédigé dans le cadre des ateliers blog de CLG Formation-Recherches. Le thème du mois de septembre est : « l’école ».
Merci David. article très intéressant. J’ignorais totalement l’existence de ce type de registres. Dommage que la plupart de mes ancêtres aient suivi un enseignement à l’école libre. Bonne continuation !
Cet article est très intéressant. Je ne suis arrivée qu’en 1978 sur Rebréchien, mes enfants ont été scolarisés à Rebréchien, dès notre arrivée. Mon mari a oeuvré pour mettre en place la garderie scolaire avec une autre personne de Rebréchien. Puis s’occupant du musée de Loury, il y a eu un thème sur les écoles de la Clairière justement avec la photo des enfants dans le champs devant l’école et la mairie.