Coullons est un village calme situé au sud-est du département du Loiret, dans le canton de Gien. Coup sur coup, en 1909 et 1910, cette bourgade est frappée par un homicide, aboutissant à des procès aux Assises d’Orléans. Je vous raconte l’un d’eux.
Une famille sans histoire, à la ferme de la Petite Brosse
La famille GITTON tient la ferme de la Petite Brosse, au nord de Coullons. L’ensemble est alors composé de plusieurs bâtiments, granges, écurie et maisons d’habitations. Frédéric GITTON et sa femme Eugénie DACIER y tiennent la plus grosse partie de l’exploitation. Le reste de la ferme est tenu par Jean GITTON et Marie GITTON, respectivement beau-frère et sœur de Frédéric. Chacune des deux familles a des enfants.
La ferme est relativement importante et les bras de Jean, Marie, Frédéric et Eugénie ne suffisent pas à tout faire. Les deux fils, Camille et Henri, âgés respectivement de douze et neuf ans, aident au quotidien dans les champs. En plus de cela, Frédéric a recours aux services de deux domestiques, qui travaillent pour lui depuis des mois, soit aux champs, soit à la ferme où ils élèvent bœufs, porcs et volailles. Ces employés se nomment Émile GOUJAT et Sylvain LAROCHE et ont tous les deux dix-neuf ans. À l’automne 1909, l’activité agricole bat son plein, avant le calme de l’hiver.
Marie GITTON, l’aînée des enfants, est âgée de seize ans. Elle ne va que très rarement aux champs, mais est en revanche très active à la ferme et aux tâches ménagères. Plutôt réservée et timide, elle n’a jamais mis ses parents dans l’embarras durant son adolescence, et ne quitte que rarement la ferme de la Petite Brosse. Elle y côtoie les deux domestiques et s’entend plutôt bien avec Émile. Elle se montre en revanche plus prudente à l’égard de Sylvain, dont elle se méfie. Ce dernier, plutôt sournois et taciturne, elle ne lui adresse que peu la parole et évite de rester seule avec lui.
Le lundi 1ᵉʳ novembre 1909, à la fin de journée, Sylvain LAROCHE annonce à Frédéric GITTON qu’il quitte la ferme de la Petite Brosse. Sa louée touche à sa fin, il doit alors chercher du travail chez un autre patron. Le jeune Alexandre BILBAULT, dix-sept ans, remplace LAROCHE comme domestique de ferme à partir du 3 novembre. Ce changement n’est certainement pas sans déplaire à Marie. Son père, quant à lui, n’a jamais rien eu à reprocher à LAROCHE, hormis son manque de franchise.
Mercredi 10 novembre 1909, funeste jour de foire
Le mercredi 10 novembre 1909, c’est jour de foire à Aubigny-sur-Nère. Frédéric et Eugénie GITTON ont coché cette date depuis des mois sur leur calendrier. Les porcs qu’ils élèvent sont désormais bons à vendre. C’est à dix-huit kilomètres de la ferme familiale qu’ils vont donc passer la journée. Le départ est prévu à huit heures et demie. L’ainée, Marie, est chargée par ses parents de s’occuper de ses deux petites sœurs, Germaine (3 ans) et Julia (17 mois). Les deux grands, Henri et Camille, ont, quant à eux, pour tâche de sortir les vaches au champ.
Vers dix heures trente du matin, la petite Jeanne vient voir sa cousine Marie pour lui apporter une brassière destinée à la petite Julia. Elle ouvre la porte de la maison et n’y trouve que ses deux cousines, Germaine et Julia, chacune dans leur lit, en train de brailler. Marie n’est pas là. Elle court prévenir sa mère, qui vient, à son tour, prendre connaissance de la situation et tenter de trouver sa nièce. Après de rapides recherches, elle n’est effectivement pas dans la maison. Elle ne doit cependant pas être loin : l’adolescente a préparé la soupe bouillie, qui est en train de cuire sur le feu. La tante met les petites en sécurité chez elle, puis reprend ses recherches.
Elle appelle Marie, plusieurs fois, et fait le tour de la ferme. Elle vérifie au grenier, au cas où, puisque Marie y monte quotidiennement pour y récupérer du foin, afin de nourrir son veau. Là encore, elle n’y est pas. Marie GITTON demeure introuvable. Elle prévient son mari, Jean GITTON, qui prévient aussitôt le voisinage, ce qui permet d’étendre les recherches. L’inquiétude grandit. La jeune Marie n’aurait jamais quitté la ferme seule, en laissant ses deux petites sœurs sans surveillance.
Vers quinze heures, le domestique Émile GOUJAT est envoyé à la foire d’Aubigny-sur-Nère, pour avertir les parents. Ils rentrent ensemble à la ferme aux alentours de seize heures trente. On imagine la panique et l’angoisse à la ferme à ce moment-là.
L’enquête des gendarmes de Coullons
Le lendemain, Marie n’est toujours pas rentrée à la maison. Son oncle, Jean GITTON, se présente à la gendarmerie de Coullons pour prévenir de la disparition de la jeune fille.
Le signalement de Marie GITTON donné aux gendarmes est le suivant : « taille 1,55 m environ, cheveux châtains, yeux bleus, chaussée de gros sabots à brides. Vêtue d’un jupon court gris à pois et d’un corsage gris à raies bleues ».
À la ferme de la Petite Brosse, les recherches continuent. Un voisin cultivateur trouve, dans la mare près de la ferme, une bicyclette dont les pneus ont été lacérés. Elle n’a pas séjourné longtemps dans l’eau. Frédéric GITTON la reconnait aussitôt : il s’agit de la bicyclette de Sylvain LAROCHE, son ancien domestique. Arthur BATILLAT, le brigadier, et Baptiste DEBENNE se rendent sur place, et font les premières constatations. L’enquête commence.
Très rapidement, la rumeur se propage aux fermes alentours, puis au village : « C’est LAROCHE qui a enlevé ou tué la petite GITTON ». Ces échos sont rapidement renforcés lorsque des effets de LAROCHE sont retrouvés dans deux baluchons, posés dans des fossés à quelques dizaines de mètres de la mare. Vêtements, paire de bretelles, ceinture en cuir, un lampion de bicyclette sont retrouvés à proximité. Les gendarmes retrouvent même un cahier d’écolier et des cahiers de chanson, tous au nom de Sylvain LAROCHE. Les occupants de la Petite Brosse sont entendus. Puis les gendarmes partent à la recherche du suspect numéro un dans cette affaire. Ils doivent agir vite, il est peut-être déjà loin.
Le commandant de la gendarmerie de Coullons envoie un télégramme le 11 novembre à 19 h 40 :
TELEGRAMME - Pour Gien de Coullons, n°32, mots 153, dépôt le 11/11 à 19h40: Commandant brigade gendarmerie Coullons à Capitaine gendarmerie et Procureur République Gien – GITTON Marie, 16 ans, disparue domicile paternel à Coullons 10 courant à 10 heures 30 matin – taille 1m55 environ, cheveux châtains clairs, yeux bleus, vêtue jupon court gris à pois, corsage gris à rayures bleues, bas coton noir, chaussée gros sabots à brides, tête nue dans une mare près maison habitation il a été découvert bicyclette dans un fossé – un paquet contenant pantalon, gilet, chemise, gilet travail, rasoir, brosse à habits – dans un autre fossé une ceinture cuir, courroie cuir, lampion bicyclette, paire bretelles, un cahier et divers papiers et objets reconnus appartenant à LAROCHE Sylvain, ancien domestique de GITTON – 19 ans, taille 1m58, moustache blonde naissante, gros yeux bleus, figure large, front bombé, vêtu pantalon et gilet drap avec légers carreaux blancs, souliers à bouts piqués, casquette noire – On suppose que cet individu a fait disparaitre Marie GITTON.
L’arrestation rapide du seul suspect
Cette alerte s’avère être des plus efficaces. Sylvain LAROCHE est rapidement reconnu en gare de Gien alors qu’il allait monter dans un wagon pour quitter la ville. Il est interpellé par le chef de gare, puis gardé à vue jusqu’à l’arrivée du commissaire de Police de Gien, M. Benjamin BERQUAND.
L’homme est entendu dans les locaux de la gare de Gien. Là encore, les choses vont très vite. Après avoir décliné son identité au commissaire BERQUAND, Sylvain LAROCHE avoue de suite avoir assassiné la jeune Marie GITTON :
Je reconnais avoir étranglé hier matin à 10 heures et demi Mademoiselle GITTON fille de mon ancien patron – à Coullons – dans un local de la ferme – Lecture faite, persiste et signe. LAROCHE Sylvain.
Sylvain LAROCHE va plus loin dans les explications qu’il donne au commissaire. Il indique notamment avoir tenté de violer l’adolescente, puis de l’avoir étranglée avant de cacher son corps dans le tas de foin situé au grenier de la ferme familiale, à la Petite Brosse.
A 21h30, l’accusé est remis à la gendarmerie, pour être conduit devant le Procureur de la République. Un mandat de dépôt est délivré contre le dit LAROCHE. Il est écroué à la maison d’arrêt de Gien le soir même.
L’impensable est découvert à la ferme
Pendant ce temps-là, la famille GITTON est toujours à la recherche de Marie. Suite aux informations de la gendarmerie, Frédéric GITTON retrouve le corps de sa fille, enfoui dans le tas de foin situé dans le grenier. Les GITTON (et plus largement les Coullonnais) pleurent la perte de la jeune Marie, fille agréable, gentille et sans histoires aux yeux de tous. Elle n’avait que seize ans. Partout dans la région, c’est l’effroi. La même question est sur toutes les lèvres : « Pourquoi elle ? ».
Le jour d’après, vendredi 12 novembre 1909, Jean GITTON, l’oncle de la victime, se présente à la mairie de Coullons pour déclarer le décès de sa nièce. Comme presque toujours dans l’État-civil, il n’y a aucun indice, sur l’acte de décès, permettant de suspecte qu’un homicide a été commis. Cependant, le maire de Coullons ajoute un détail, qui indique qu’il s’agit vraisemblablement d’un décès un peu particulier ; elle est décédée le 10 novembre au domicile de ses parents, « et son corps a été retrouvé hier à huit heures du soir ».
Cet assassinat alimente les discussions et agite la presse locale pendant des semaines. Beaucoup comparent l’affaire à celle d’Albert SOLEILLAND, un ébéniste nivernais reconnu coupable de meurtre et du viol d’une fillette deux ans auparavant, en 1907. Une multitude de journaux locaux et nationaux ont traité l’affaire LAROCHE, en parlant malheureusement plus du coupable que de la victime.
Le Juge d’instruction GENTIL permet de reconstituer les faits
Pendant près de six semaines, la gendarmerie de Coullons va mener des dizaines d’interrogatoires. Sylvain LAROCHE est entendu une dizaine de fois. La famille, les voisins, les commerçants, sont tous convoqués à la gendarmerie pour essayer de mieux comprendre les circonstances de cet homicide, qui sera rapidement qualifié d’assassinat. Les quelques lignes ci-dessous racontent le déroulement du crime, vous épargnant toutefois les détails les plus sordides.
Retour au 10 novembre 1909 ; il est dix heures trente. La soupe est dans la marmite, en train de chauffer. Les deux petites sœurs sont dans leur lit, calmes. Marie a un peu de répit pour aller nourrir son veau. Rien de mieux pour lui que du foin. Celui qui est stocké dans le grenier de la grange lui est réservé. Chaussée de ses sabots, l’adolescente monte à l’échelle qui mène au grenier. Elle est surprise d’y trouver Sylvain, l’ancien domestique, assis près du tas de foin.
Ce dernier l’attend de pied ferme. Voilà neuf jours qu’il prépare son crime minutieusement. Neuf jours à attendre le moment propice, l’absence des parents plus particulièrement, pour se venger de celle qui l’a toujours repoussé. Il est déterminé à mettre fin aux jours de la jeune femme. Lui qui a toujours eu un faible pour la fille de ses patrons, n’est jamais parvenu à la séduire, ni à l’intéresser. LAROCHE s’approche d’elle, et lui demande d’avoir des relations intimes avec elle. Ce qu’elle refuse. Effrayée, elle tente de redescendre dans la grange. Le domestique l’attrape, elle se débat et se défend. Elle le griffe aux bras, ainsi qu’au visage. Il l’étrangle, afin qu’elle ne fasse plus de bruit, et qu’il ne soit ainsi pas repéré. Marie tombe au sol, elle semble avoir perdu connaissance.
Sylvain la prend sur son épaule, et la monte tout en haut du tas de foin, à plus de deux mètres de haut. Il jette la pauvre fille dans un trou qu’il a creusé dans le foin, accessible seulement par la partie supérieure. Toujours vivante, la fille souffre. Elle geint, à l’intérieur du tas de foin. LAROCHE descend dans le trou, et viole l’adolescente. Puis, il étrangle Marie avec un mouchoir en tissus, pour que les râles s’arrêtent. Il passe toute la journée caché auprès de sa victime, dans le grenier. Il n’en ressort qu’en fin de journée, vers 21 heures, afin de se cacher dans les champs.
Ce trou dans le foin, Sylvain LAROCHE l’a minutieusement préparé, chaque jour, entre le deux et le dix novembre. La journée, il se cache dans le grenier de la grange de ses anciens patrons. Il y creuse dans le foin, un emplacement assez profond pour s’y cacher, et y dissimuler le corps de sa future victime. Le soir, il sort en cachette de la ferme de la Petite Brosse, pour manger et boire dans les auberges du bourg de Coullons.
Tous les points mentionnés ci-dessus sont vérifiés et constatés par les gendarmes, Monsieur GENTIL le Juge d’instruction, les experts, le médecin légiste. L’instruction de cette affaire donne même lieu à une reconstitution, à la ferme de la Petite Brosse. Un article du journal Paris-Centre (dont je n’ai pas retrouvé la date) raconte cette reconstitution et le climat qui règne à la ferme familiale, lorsque le meurtrier, menotté, retourne chez ses anciens patrons. Le mobile du meurtre serait, selon l’assassin, une vengeance, parce que Marie aurait dénoncé son travail auprès de son père, qui l’aurait alors « grondé ». Le juge d’instruction ne retient pas ce mobile.
Emprisonnement, inculpation, condamnation à mort
Le soir de son arrestation à la gare, alors qu’il allait quitter la région, Sylvain LAROCHE est emprisonné à la maison d’arrêt de Gien. Voici une trace de son passage sur les registres d’écrou de l’établissement.
Après six semaines d’enquête, Sylvain LAROCHE est inculpé de meurtre avec préméditation, de guet-apens et de viol sur la jeune Marie GITTON. Le jugement de la Cour d’Assises d’Orléans tombe le 5 janvier 1910 : il est reconnu coupable de l’ensemble des chefs d’inculpation et condamné à la peine de mort. Il fait appel de sa condamnation. L’appel est rejeté le 27 janvier 1910. Le pourvoi en cassation, qu’il forme par la suite, est également rejeté, le 10 mars 1910. Il n’échappe pas à la vindicte populaire.
Transféré de la maison d’arrêt de Gien à la prison d’Orléans en vue de son exécution, LAROCHE y reste jusqu’au vendredi 27 mai 1910. La veille, Anatole DEIBLER, bourreau à la fois célèbre et redouté, arrive en train à Orléans. Les bois de justice sont installés sur le Mont Bel Air, derrière la prison. Les Orléanais comprennent que l’exécution de l’assassin est pour bientôt. La foule se presse sur la place, qui doit être évacuée par les forces de l’ordre.
Sylvain LAROCHE est réveillé le vendredi dans la nuit, pour être transporté à l’échafaud. L’aumônier suit le condamné jusqu’à ce que sa tête soit posée sur la lunette. Quelques gestes de recul, maitrisés par les autorités et le bourreau. Ce dernier déclenche le couperet. La justice est rendue. LAROCHE est mort le vendredi 27 mai, à 3h42. Son corps est inhumé dans le cimetière Saint-Vincent, dans la nuit. Frédéric GITTON, père de la victime, est sur place, pour assister aux derniers instants du monstre.
Les époux GITTON continuent leur vie, accompagnés du souvenir de leur fille aînée. Sept semaines avant l’exécution de l’assassin, un garçon prénommé Marcel nait le 1er avril 1910 à la ferme familiale. Puis trois autres enfants naissent à Coullons en 1911, 1913 puis 1915. Le couple a eu, au total, quatre filles et sept garçons. Frédéric GITTON, le père de famille, décède le 7 décembre 1945. Eugénie DACIER rejoint son époux et sa fille le 30 septembre 1950.
Le dossier du procès LAROCHE aux Assises est disponible aux Archives Départementales du Loiret, sous la cote 2U/22625. Cet article ne reprend l’histoire que dans sa globalité, sans entrer dans les détails des faits et de l’enquête. Certains éléments présents dans le dossier peuvent heurter la sensibilité des lecteurs.
Merci David d’avoir partagé ce fait divers, certes sombre, mais qui parle de la vie de nos campagnes autrefois. Ton récit est vivant et très agréable à lire.
Ce n’était malheureusement un cas isolé. J’ai rencontré un cas tout aussi sordide dans la Marne quelques années plus tôt.
Merci Charles-Emmanuel! Oui, on trouve des assassinats dans presque tous les villages, en cherchant bien. Chaque localité a un jour ou un autre eu son lot d’horreur et d’effroi.
Mon petit village du Loiret a également fait la une des journaux quelques fois pour de tels drames
Très bel article digne d’un bon polar….
Très complet, cet article ! Un féminicide avant l’existence du terme.
Merci Françoise!
Oui, le féminicide n’est malheureusement pas nouveau….
Quelle triste affaire, comme on en croise malheureusement souvent.
Bravo pour ce magnifique récit qui n’est pas évident sur un tel sujet.
Certaines pages du dossier sont vraiment insoutenables…
La version soft de cet article le rend lisible pour tous. Merci Noëline!
Merci David de nous avoir partagé l’histoire de cette pauvre Marie fauchée en pleine jeunesse. Cet article est digne d’une chronique judiciaire, quel beau travail d’investigation. Bravo !
Merci Magali pour ton message! C’est du boulot de tout réunir, tout analyser, et rédiger!
Mais j’aime bien le rendu! Quelque part, ça rend un peu hommage à cette pauvre famille, plus de cent ans après les faits…