L’activité de généalogiste est indissociable des dépôts d’Archives Départementales. Leurs étagères, remplies de liasses documentaires et de boites à trésors, sont notre passerelle vers le passé. Et je ne parle pas du passé légendaire, celui raconté par grand-papy, celui des légendes et parfois des exagérations ou des secrets. On y trouve les preuves du passé, le passé véridique, celui de l’état civil, des archives notariales, de l’administration ou encore de la vie militaire d’autrefois. Je vous emmène à la découverte des Archives Départementales du Loiret, installées à Orléans depuis 228 ans, et aujourd’hui accessibles à tous.
La création des Archives Départementales du Loiret
L’histoire des archives en France débute avec la loi 5 brumaire an V (soit le 26 octobre 1796). Cette dernière « ordonne la réunion, dans les chefs-lieux de département, de tous les titres et papiers dépendant des dépôts appartenant à la République ». L’idée de rassembler les archives dans un unique endroit, à des fins de conservation, à l’échelle départementale est née.
La décision est prise d’installer les Archives Départementales du Loiret à Orléans, dans l’Hôtel des Créneaux. Ce bâtiment historique et emblématique de la ville regroupe également les tribunaux depuis 1790, et jusqu’à la construction du Palais de Justice en 1824.
C’est seulement deux ans plus tard, le 28 pluviôse an VII (soit le 17 février 1800) que le corps préfectoral est créé par Napoléon Bonaparte. La loi instituant les préfets est promulguée. Deux-cent-vingt-cinq années plus tard, le fonctionnement de notre pays est toujours basé sur cette structure.
La préfecture du Loiret est installée dans les bâtiments de l’ancien couvent Notre-Dame de Bonne-Nouvelle. Puis les bâtiments alentours sont peu à peu détruits, et la préfecture est agrandie. Les Archives Départementales du Loiret y sont alors transférées. La fonction d’archiviste est alors tenue par le chef du bureau de la Préfecture.
Les archivistes du XIXe siècle, des personnalités marquantes
Charles-Louis VASSAL, le précurseur à Orléans
C’est en 1833 qu’un premier archiviste est nommé pour le Loiret. Il s’agit de Charles-Louis VASSAL. Natif du village de Saint-Germain-de-Grave, en Gironde, il vient au monde le 19 octobre 1808. Il est le fils d’un propriétaire cultivateur, Michel DE VASSAL-MONTVIEL, et de Marguerite Charlotte DE BARITAULT son épouse. Ces origines, modestes à première vue, cachent néanmoins des ascendants capitaines d’infanterie et d’artillerie, et de seigneurs de terres girondines aux XVII et XVIIIe siècles.
Nommé à l’âge de vingt-cinq ans, il tiendra les rennes des Archives Départementales du Loiret jusqu’en 1860. Sa fonction d’archiviste lui a permis d’obtenir plusieurs fois des moyens pour améliorer son service : agrandissement, matériel de stockage, etc. Il a été le premier à traiter et trier de ses mains des registres et documents loirétains antérieurs à la Révolution française, qui n’existent plus aujourd’hui. Resté archiviste honoraire, il demeure au 48 rue des Carmes, à Orléans. Puis, il décède le 21 septembre 1863 à Sandillon, au Château du Grand-Marais.
Les archivistes vont se succéder au fil du XIXe siècle. Chacun, à sa manière et avec les moyens qui lui sont alloués, apportera sa pierre à l’édifice pour conserver les documents que l’on peut encore consulter aujourd’hui.
François MAUPRÉ limite les dégâts en 1870
François Alphonse Phileas MAUPRÉ est archiviste du département du Loiret de 1861 à 1875. Natif de l’Eure-et-Loir, diplômé de l’École des Chartes, paléographe, il est celui qui a initié le rangement méthodique des archives du département. En fonction pendant la guerre de 1870-1871 qui a durement touché le Loiret, il a réussi à cacher des milliers de registres et documents importants, dans les caves de la Préfecture. Pour cela, il a fait construire des centaines de caisses en châtaigner et en zinc, servant à leur transport et leur stockage à l’abri. Il meurt dans l’exercice de ses fonctions, le 25 février 1875, à son domicile, au Cloitre Saint-Pierre d’Empont à Orléans.
Jules DOINEL, homme aux multiples facettes
Jules DOINEL est nommé aux Archives Départementales du Loiret en 1875, après le décès de François MAUPRÉ. Natif de Moulins, dans l’Allier, en 1842, il a alors trente-trois ans lorsqu’il accède à ces fonctions. Sorti de l’École des Chartes, comme son prédécesseur, on retiendra de ses vingt années aux fonctions, le classement de la série A ¹, et le début de la série B ². Homme multi –facettes, il était également poète, franc-maçon, et avait un goût prononcé pour les sciences occultes. Il crée, en 1890, l’Église gnostique de France ³, dont il est le premier patriarche. Il a par ailleurs écrit plusieurs livres, sous différents pseudonymes. En 1895, Jules DOINEL quitte les Archives du Loiret, puis décède en 1902 à Carcassonne.
Camille BLOCH, engagé pour l’Histoire
Camille BLOCH prend la suite des travaux de DOINEL, à partir de février 1896. Né le 17 juillet 1865 dans le village du Thillot, dans les Vosges, il est le fils de Moïse BLOCH, négociant, et d’Appoline DEUTSCH. Sorti tout droit de l’École des Chartes en 1890, archiviste du département de l’Aube entre 1891 et 1895 ; il est nommé dans le Loiret et y reste jusqu’en 1904. Grand historien, paléographe, homme engagé en faveur d’Alfred Dreyfus, on lui doit, entre autres, le classement de la série G ⁴ des Archives Départementales du Loiret, plusieurs inventaires, ainsi que divers ouvrages rédigés avec les documents historiques qu’il avait à sa disposition au quotidien.
Exempté de service militaire, il ne participe à aucun des conflits. Il aura pourtant connu les trois grandes guerres au cours de sa vie : 1870-1871, et les deux guerres mondiales. Plusieurs fois décoré, il est fait chevalier de la Légion d’honneur en 1905, Officier en 1920, puis Commandeur en 1934. Cette dernière décoration lui est remise alors qu’il est Inspecteur Général des Bibliothèques et Archives au Château de Vincennes. Il décède le 15 février 1949, dans le XIVe arrondissement de Paris.
Au XXe siècle, la modernisation, la destruction et la reconstitution
Les Archives Départementales du Loiret modernisées par Jacques SOYER
Jacques SOYER, a quant à lui participé à la transformation des Archives du Loiret. Nommé en 1904, il fait rapidement face au manque de place dans les locaux de la préfecture. Il obtient tout d’abord le déménagement des archives dans la rue d’Illiers, dans l’ancien Couvent des Minimes, en 1913. Bien plus spacieux, ces locaux permettent de meilleures conditions de travail et de classement. Il obtient aussi des renforts humains, rendant le service bien plus productif. Il reste dans ses fonctions pendant trente-un ans, ce qui lui permet d’achever le classement des séries C ⁵ et D ⁶ . L’archiviste se rend par ailleurs régulièrement dans les mairies du département pour récupérer des documents à forte valeur historique, et pour distiller de précieux conseils de conservation et de classement des archives.
D’un espace dans les locaux de la Préfecture, au déménagement dans l’Ancien Couvent des Minimes, elles changent de dimension sous l’ère Jacques SOYER. Mais rapidement, le manque de place se fait de nouveau sentir. Il quitte ses fonctions à Orléans en 1934. Il disparait au printemps 1950, à Orléans, à l’aube de ses quatre-vingts ans.
Géraud LAVERGNE, le malheureux
Géraud LAVERGNE est nommé archiviste en 1935, au départ de Jacques SOYER. Arrivé tout droit de Dordogne, où il a passé vingt-trois années aux Archives à Périgueux, il reprend les travaux de son prédécesseur. Le bâtiment de stockage, dans l’Ancien Couvent, est déjà trop exigu. Et à l’aube de la Seconde Guerre mondiale, il pointe du doigt le fait qu’aucune zone sécurisée ne permet de protéger les fonds documentaires d’une attaque, d’un incendie ou d’une inondation.
Le cauchemar redouté de tout archiviste va devenir réalité pour monsieur LAVERGNE, le 18 juin 1940. Après des bombardements aériens sur les grandes villes de Loire, visant à détruire les ponts, une partie du centre-ville d’Orléans s’embrase. L’ancien Couvent des Minimes est la proie des flammes. Les archives qu’il contient sont détruites en grande partie.
L’archiviste avait pourtant déjà alerté sur cette situation, et le risque encouru à conserver les fonds dans de telles conditions. Au total, 80% des collections sont détruits. Et le bilan aurait pu être encore plus lourd, si Géraud LAVERGNE n’avait pas, de sa propre initiative, transféré quelques caisses de documents vers les châteaux de Combreux et de Cléry-Saint-André, pour les protéger.
Le 18 juin 1940, les Archives Départementales du Loiret repartent de (presque) rien
Depuis ce jour du 18 juin 1940, le département du Loiret fait partie de ceux qui ont perdu leurs collections historiques (comme La Manche, ou le Pas-de-Calais, par exemple). L’archiviste y a lui-même perdu tous ses effets et notes de travail et recherches. Une cicatrice qui ne se refermera pas, ni pour lui, ni pour le département, qu’il quitte l’année d’après, en 1941, pour rejoindre les Bouches-du-Rhône.
Un nouveau bâtiment est reconstruit sur le même emplacement, dix-huit années plus tard. Il est inauguré en 1959, et des archivistes y viennent pour reconstruire l’histoire de ce département. Ce qui a brûlé est définitivement disparu. Mais certains fonds sont reconstitués grâce aux administrations, aux communes et aux particuliers qui ont tous été mis à contribution pour de nouveau remplir des rayonnages des Archives Départementales du Loiret. Des lacunes subsistent néanmoins, notamment dans les séries de l’Ancien Régime.
Au fur et à mesure des versements d’archives, et des reconstitutions de fonds, le site des Minimes, rue d’Illiers, ne suffit plus. Les Archives contemporaines sont donc déplacées à la Cité-Coligny. Le site voit le jour en 1976, puis sera agrandi en 1987 et en 1998.
Au début du XXIe siècle, face à l’afflux de nouveaux documents à conserver, la question d’un nouveau site se pose. L’idée est renforcée par le manque de praticité des Archives Départementales du Loiret, réparties sur deux sites géographiquement assez éloignés (25 min à pied).
Le nouveau dépôt des Archives Départementales du Loiret
Le déménagement, un chantier titanesque
Au printemps 2021, la première pierre du nouveau site est posée. Le site choisi se situe au carrefour du Boulevard Marie Stuart et de l’Avenue des Droits de l’Homme, très facilement accessible aux Orléanais par la ligne B du Tramway. Le terrain est aussi choisi pour parer à un futur besoin d’expansion du bâtiment, lorsque cela sera nécessaire.
Le 15 septembre 2023, à 17 heures, la salle de lecture des Archives Départementales du Loiret, située rue d’Illiers, ferme définitivement ses portes après 110 ans de bons et loyaux services. Le temps est maintenant au classement, dépoussiérage et déménagement des collections des trois sites orléanais, (rue d’Illiers, Cité Coligny et Fort Alleaume). Une tâche titanesque, qui a réellement déjà commencé avant cette fermeture.
Au total, ce sont trente-deux kilomètres linéaires de documents en tous genres, qui viennent peu à peu remplir les rayonnages du nouveau bâtiment. Même si l’ouverture est prévue pour 2024, peu d’informations filtrent sur la date d’ouverture du nouveau site, au grand damne des lecteurs, historiens et généalogistes passionnés.
Une réouverture attendue par beaucoup
La réouverture de la salle de lecture des Archives Départementales du Loiret a finalement lieu le lundi 23 septembre 2024, un an après la fermeture du site historique. Les plus curieux d’entre nous ont pu, en avant-première, visiter nouveau site dès janvier 2024, et avoir ainsi un aperçu du magnifique outil de travail qui est mis à notre disposition. Nous avions aussi pu découvrir l’envers du décor, les salles de classement, l’atelier de photographie des ouvrages, l’atelier de réparation, etc. Une très belle découverte.
La nouvelle salle de lecture a une capacité d’accueil de 50 personnes. Les tables sont grandes. Il y a largement de quoi étaler ses notes de recherches, un ordinateur portable, un téléphone, des câbles de chargeur éventuels, et les ouvrages que l’on souhaite consultes (consultables un par un !). Tout est fait pour le confort du lecteur, dans cet espace moderne, plutôt confortable et calme !
L’eldorado du généalogiste
Une grande partie des lecteurs qui fréquentent les Archives Départementales du Loiret, le font dans le cadre de leurs recherches généalogiques. Qu’ils soient confirmés ou ou novices, les amateurs y consultent régulièrement les recensensements, l’état-civil, les registres des hypothèques et le cadastre, principalement. Les équipes de la salle de lecture sont aux petits soins pour leurs lecteurs. Ils leur fournissent conseils et astuces pour exploiter les fonds disponibles, leur permettant petit à petit de grapiller des informations utiles à leur généalogie.
Pour votre première visite, pensez à vous munir obligatoirement de votre carte d’identité. C’est le seul pré-requis pour obtenir sa carte de lecteur, et ainsi accéder aux milliers d’ouvrages, actes et registres qui vous attendent. Dans le cas où vous souhaiteriez un accompagnement aux Archives, n’hésitez pas à me contacter ! Ce sera avec joie que je vous guiderai pour vos premières recherches. En tant que généalogiste dans le Loiret, il m’arrive très fréquemment de m’y rendre. J’aide alors régulièrement des lecteurs dans leurs recherches généalogiques lorsque je suis en attente de documents commandés.
Il est impossible de reprendre l’intégralité de l’histoire des Archives Départementales du Loiret dans ce seul article. D’ailleurs, les AD 45 l’ont très bien fait dans plusieurs de leurs expositions, et publications sur leur site internet. N’hésitez pas à les consulter pour en savoir d’avantage, c’est très bien expliqué.
Cet article est rédigé dans le cadre des ateliers blog de CLG Formation-Recherches. Le thème du mois de décembre est : « un monument».
¹ Série A : Première série du cadre de classement des archives. Elle regroupe tous « actes du pouvoir souverain » et les papiers du « domaine public » , sous l’Ancien Régime.
² Série B : La deuxième série, dans le cadre de classement. Elle contient toutes les archives des juridictions d’Ancien Régime, qui ont été depuis abolies par la Révolution France en 1789.
³ Eglise gnostique de France : Organisation occultiste à tendance chrétienne, déclarée en tant qu’association culturelle en 1906. Elle appartient aux divers courants du gnosticisme.
⁴ Série G : Série des archives départementales, contenant les fonds relatifs au clergé séculier
⁵ Série C : Série des archives départementales, dans laquelle sont classés les fonds relatifs aux administrations provinciales d’Ancien Régime telles que les généralités et élections, subdélégations, états provinciaux, etc. On parle plus généralement d’Intendance, avant la révolution.
⁶ Série D : Série des archives départementales, dédiée aux établissements d’enseignement et les archives relatives aux sciences et arts sous l’Ancien Régime.
Bonjour David, grâce à ton article, je découvre ou presque l’Histoire tumultueuse des AD 45. Merci et bravo pour cet hommage aux hommes (et femmes j’imagine) qui ont contribué à reconstituer ce monument qu’est un dépôt. Bonne fin d’année !
Merci Régis pour ton commentaire!
Et oui, il est souvent difficile d’effectuer des recherches dans le Loiret, avant la Révolution! Tu en sais quelque chose d’ailleurs il me semble….
Quelle histoire que celle des Archives du Loiret, presque une aventure !
Si seulement quelqu’un avait écouté ce pauvre Géraud LAVERGNE…
Bravo David pour cet article fouillé et riche. Quel bel hommage tu as rendu là aux directeurs et au personnel des Archives départementales du Loiret, et, à travers eux, à tous ceux qui nous permettent de faire notre travail dans les meilleures conditions possibles.