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Une famille de Loury mène une vie paisible à la ferme du Houssay, quand un accident survient…

Une famille paysanne en Beauce

Louis PATY est un humble laboureur originaire des campagnes loirétaines. Il est né à Bougy, un petit village en forêt d’Orléans, le dimanche 2 novembre 1727. Ses parents, oncles et tantes, frères et sœurs, restent vivre dans ce village. Louis décide de quitter la forêt en 1754 pour se marier à l’église Saint-Symphorien de Neuville-aux-Bois, le 19 février 1754, avec Marie Elisabeth HOUDAS.  Elle est également originaire du neuvillois.

Eglise de Neuville aux Bois

Église Neuville aux Bois – Collection personnelle

Le laboureur, en Beauce, au XVIIIe siècle, est généralement propriétaire de quelques terres. Mais celles-ci s’avèrent bien souvent insuffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille. Il doit donc, en plus, travailler pour d’autres propriétaires. Louis PATY et sa famille se déplacent ainsi, de village en village, selon les opportunités de travail du moment. Ils s’installent quelques années à Loury, à la ferme du Houssay, au bord de la route reliant Pithiviers à Orléans.

Un laboureur au XVIIIe siècle, tenant une fourche

Un laboureur au XVIIIe siècle

 

Le couple connait des joies et des peines durant les premières années de son mariage.  Un premier fils, Louis, nait à la ferme du Houssay en 1755. Un deuxième garçon, Benjamin, vient au monde, en 1756 mais décède à l’âge de dix mois. Un autre garçon, Benjamin, décède après seulement quelques mois, en 1759. Le 5 décembre 1760, un quatrième garçon arrive dans la famille. Il s’appelle Jacques.

Le travail de Louis n’est pas de tout repos. En plus du travail dans les champs aux beaux jours, il doit également soigner le bétail de la ferme durant toute l’année. Il revient notamment à Louis de s’assurer que les récoltes de l’année (avoine, seigle et orge) soient stockées dans des conditions qui permettent leur conservation. Sa femme vient d’accoucher du petit Jacques, et a donc besoin de repos. Il garde alors Louis, son fils aîné de cinq ans, auprès de lui à la ferme.

Cour de ferme 18e siecle, avec grange, bétail, animaux, et un puits

Une cour de ferme – Peinture de Nicolas Bernard Lépicié (1735-1784)

 

La rencontre

C’est ainsi que le dimanche 7 décembre 1760, à la tombée de la nuit, un mendiant se présente à la ferme du Houssay. À ce moment-là, Louis est occupé aux écuries.  Le voyageur demande le gîte et le couvert au laboureur. Ce dernier a l’habitude d’héberger des passants dans le besoin. La localisation de la ferme, au bord de la route d’Orléans, s’y prête. Les commerçants du village de Loury n’hésitent d’ailleurs pas à recommander cette ferme aux marcheurs cherchant un toit pour la nuit.

Extrait du plan terrier de la Seigneurie Rebréchien en 1772 par l'arpenteur FRICALET. Carte représentant la ferme de la Houssay à Loury

La ferme de la Houssay à Loury en 1772 – Archives Départementales du Loiret

 

Le pauvre homme est tout trempé et ses habits couverts de boue. Ivre, il semble avoir goûté aux délices des vignobles locaux, servis à l’auberge d’André HOUDAS, ou par Louis PELLé, le cabaretier du bourg. Le laboureur le fait entrer par les écuries, où le vagabond décrotte ses vêtements.

Le garçonnet de cinq ans est, quant à lui, très intrigué par ce personnage qui vient de débarquer là où il habite. Son accent (qui n’est pas de la région) et son vieil habit de soldat, attisent sa curiosité.  L’homme porte une vieille veste grisâtre, de vieilles guêtres en toile, un bonnet de laine et un vieux chapeau. Le Lourysien indique à son invité d’un soir, la porte de la grange dans laquelle il pourra passer la nuit. Il l’autorise à s’installer sur de l’avoine non battue pour dormir. Puis, il repart à ses travaux.

L’accident

Alors que le mendiant entre dans la grange, il décide de ne pas suivre les conseils prodigués par son hôte quant à l’endroit où il pourrait dormir. Une grande échelle est posée sur un haut tas d’avoine. Peut-être se sentirait-il plus en sécurité à douze pieds de haut ? La couche d’avoine y est certainement plus épaisse, et ferait alors un meilleur matelas. Il attrape donc l’échelle, puis monte les barreaux un à un, fébrilement. Son état d’ébriété certain lui demande sans doute beaucoup de concentration. Le malheureux glisse, tombe de l’échelle et se brise le crâne sur le sol.

Le garçon, curieux et caché dans la grange, a vu toute la scène. Apeuré, il file tout de suite alerter son père retourné à sa tâche. Il explique l’accident à son père : le monsieur est monté à l’échelle et il a chuté. Louis PATY court vers la grange, et découvre la scène : le mendiant est allongé au sol, un pied encore posé sur un barreau. Il git dans une mare de sang qui sort abondamment de sa bouche.

Le laboureur court de suite prévenir le père PORCHER, le curé du village. L’église est à vingt bonnes minutes de marche de la ferme du Houssay. Les sacrements doivent lui être administrés au plus vite. Car oui, il n’y a aucun doute, le voyageur est passé de vie à trépas en franchissant la porte de cette grande ferme.

Un homme mort dans une grange, au pied d'une échelle. Image réalisée par IA

Illustration de l’accident – Image générée par IA

L’enquête

Les témoignages

Vers dix-neuf heures, Claude BADINIER, le procureur fiscal, arrive sur les lieux de l’accident. Il est accompagné de Louis BOYS, « Bailly 1 de la Haute, Moyenne et Basse Justice 2 de la Baronnie de Loury ». Jean PETIT, le greffier de la Justice de Loury et notaire de Bourgneuf, s’est également rendu à la ferme du Houssay.

L’autorité locale confirme la mort du pauvre homme. Louis PATY est interrogé et leur raconte ce qu’il sait et ce qu’a vu son fils. Reste à découvrir qui est cet homme : un voyageur ? Un mendiant ? Un pèlerin peut-être ? L’enquête devrait au moins permettre d’apposer un nom sur sa sépulture.

Les recherches apportent des indices

Les trois hommes fouillent les poches du cadavre et y trouvent des mitaines couvertes de boue, un mauvais mouchoir, de la menue monnaie d’une valeur de dix liards 3 , un couteau et une tabatière en fer blanc. Ils inspectent ensuite le contenu du vieux sac en toile, auquel est accrochée une gourde brisée. Ils y découvrent une vieille chemise, deux mouchoirs, une paire de boucle de fer ainsi que deux portefeuilles. Le premier portefeuille ne contient qu’un peigne en ivoire. Le second portefeuille contient plusieurs papiers.

Les enquêteurs déplient d’abord un certificat de vie et de mœurs, rédigé par le curé de Cébazat, en Auvergne, dans le diocèse de Clermont. Ce bout de papier est daté du  3 novembre 1755. Il indique que Barthélémy REDDON est natif de ladite paroisse et qu’il s’avère être un homme honnête homme et bon chrétien. La victime est aussi en possession de deux lettres dont il est le destinataire.

La première est écrite de la part de Marie BANIERE, sa femme, habitant Cébazat, le 29 octobre 1759. La lettre est adressée à Barthélémy REDDON, à Paris. Elle commence par « mon cher époux » et finit par « Je suis toute à vous, Marie BANIERE, votre épouse ». La seconde lettre est écrite par Michel REDDON, aussi de Cébazat, en date du 15 octobre 1759. Dans le portefeuille se trouve également quatre quittances, d’un dénommé FRARY, pour le loyer d’une maison à Paris.

Le procès-verbal est rédigé par le greffier, Jean PETIT. Nous n’en saurons pas plus sur le contenu des lettres, si ce n’est qu’elles ont été jointes au dossier. Elles sont peut-être conservées aux Archives Départementales du Loiret ? Je vérifierai quand elles auront rouvert leurs portes.

L’inhumation du voyageur

Le procureur fiscal ordonne la sépulture de Barthélémy REDDON dans le cimetière de la paroisse de Loury. Il est inhumé deux jours plus tard, le mardi 9 décembre 1760, près de l’église. L’acte de décès reprend une partie des évènements que je vous ai racontés. Claude HOUDAS, le boulanger du bourg, Aignan GUERIN, le sonneur de l’église et Louis PELLE, cabaretier, sont présents à l’inhumation.

Acte de sépulture de Barthélémy REDDON daté du 9 décembre 1760 à Loury

Acte de sépulture de Barthélémy REDDON le 9 décembre 1760 à Loury – Archives Départementales du Loiret

 

Dans cet acte de sépulture, le curé écrit que le défunt semble être âgé d’environ quarante ans. Nous reviendrons sur ce point un peu plus tard.

Barthélémy REDDON, son parcours

Les éléments de départ pour la recherche

Barthélémy REDDON, l’auvergnat, décède donc accidentellement dans le Loiret. Le village de Loury est à près de 300 kilomètres de chez lui, soit deux semaines de marche.

Carte de Cassini représentant la région de Cébazat en Auvergne

Cébazat en Auvergne au XVIIIe siècle – source: Géoportail

Les quittances qu’il avait en sa possession avant de mourir indiquent qu’il louait une maison à Paris depuis quelques mois. Qu’y faisait-il exactement ? Peut-être était-ce pour le travail ? On peut néanmoins émettre l’hypothèse que Barthélémy REDDON était en chemin pour retrouver sa famille à Cébazat. A cheval comme à pied, la route la plus directe de Paris vers Cébazat passait alors par Etampes, Pithiviers, puis Orléans, en passant par Loury.

Les deux lettres et le certificat retrouvés dans son portefeuille sont sans équivoque : Barthélémy est natif de Cébazat, il y vit en novembre 1755, il est marié à une femme nommée Marie BANIERE.  Ces informations sont une mine d’or pour le généalogiste que je suis.

La vie de Barthélémy

Sa jeunesse

Il s’avère alors que Barthélémy REDDON est né le lundi 8 septembre 1704 à Cébazat. L’encre n’est pas très lisible, sur le document, mais on peut lire :

Acte naissance Barthelemy REDDON en 1704 - Archives municipales de Cébazat

Acte naissance Barthelemy REDDON en 1704 – Archives municipales de Cébazat

Barthélémy REDON fils légitime à Blaise et
Anne ARNAUD LE DONZEL est né le 8me 7bre
1704. A été baptisé le même jour, son parrain
Barthélémy ARNAUD LE DONZEL et sa marraine
Anne PATAND

Une naissance en 1704, cela signifie que Barthélémy est en fait décédé à l’âge de cinquante-six ans. L’âge estimé par le bailli de Loury et le curé, lors de l’enquête, était donc erroné.

Barthélémy voit ses parents mourir à deux années d’intervalle. Anne ARNAUD LE DONZEL, sa mère, décède dans les derniers jours de l’année 1725. Son père, Blaize REDDON décède le 13 septembre 1727 à Cébazat. Une semaine avant son décès, Blaize REDDON fait rédiger son testament. Très malade, il est alité dans sa maison du quartier de la Rivière. C’est donc le notaire FREDET qui se déplace à son domicile. Ce document nous apprend qu’il a trois enfants : Michel (l’aîné), Marie et Barthélémy. Les biens sont partagés entre les trois enfants. Michel est nommé tuteur de son frère et sa sœur, mineurs.

Un mari et père de famille

Le 8 février 1729, Barthélémy, alors âgé de vingt-quatre ans, se marie avec Marie BANIERE à Cébazat. Aucun des époux ne signe l’acte de mariage passé devant le curé de la paroisse.

einture représentant la nef de l'Eglise de Cébazat à la fin du XVIIIe siècle. Les paroissiens prient

Nef de l’église de Cébazat – Peinture de F.M. Granet

 

Ensemble ils ont plusieurs enfants, dont au moins :

  • Michel, né le 24 mars 1730
  • Marie, née le 9 juillet 1731
  • Etienne, né le 3 Avril 1734
  • Gilberte, née et décédée le 20 Avril 1737
  • Michel, né le 2 mai 1738

Les actes de baptêmes sont très succincts à cette époque. Néanmoins, l’acte du 2 mai 1738 nous apprend que Barthélémy REDDON était vigneron. Cette information demeure importante. Nous ignorons pour le reste la raison de sa présence à Paris, en 1760. Nous en savons toutefois plus sur la vie de ce pauvre Barthélémy. Il n’était pas un pèlerin. Pas plus qu’un mendiant. Il avait une famille, une femme, des enfants, qui l’attendaient en Auvergne, à Cébazat. Les mots écrits par sa femme sur le courrier retrouvé sur son corps semblent rassurant quant à leur relation. L’amour était là.

Une vie de famille sans le père

Marie BANIERE n’a certainement jamais su ce qui était arrivé à son époux. Cinq mois après l’accident, elle décède à son tour, à Cébazat. Son acte de sépulture précise qu’elle est « femme » de Barthélémy REDDON et non veuve. Elle quitte donc ce monde sans revoir son mari et en ignorant ce qu’il est devenu.

Marie BANIERE femme de Barthélémy REDDON,
agée d’environ soixante ans, est décédée le vingt
trois avril mille sept cent soixante un. A été
enterrée le lendemain en présente de Gilbert
et autre Gilbert FABRE qui n’ont pu  signer
requis.  --- PAUTET Curé

Le mois suivant, Michel, le fils aîné de Barthélémy se marie avec Toinette GUIGNARD, le 26 mai 1761 à Cébazat. L’acte de mariage stipule que le père de l’époux vit toujours à Paris. La procuration au consentement à ce mariage n’est pas signée par Barthélémy, puisqu’il repose au cimetière de Loury. Le mariage est néanmoins célébré, malgré l’absence de consentement du père.

Rappelez-vous, du second courrier retrouvé sur le cadavre dans la grange à Loury. Il est rédigé par Michel REDDON. J’ai identifié trois personnes susceptibles d’avoir écrit ce courrier. Il peut avoir été rédigé par l’oncle de Barthélémy, son frère (né vers 1700), voire par son fils (né en 1738)  La réponse à cette question se trouve peut-être aux Archives Départementales du Loiret, si les pièces relatives à cette enquête ont été conservées.

La famille PATY après l’accident

Quant à la famille PATY, au Houssaye, elle quitte la ferme de Loury trois mois après cet accident. En effet, on retrouve la famille en avril 1861 à Neuville aux Bois. Le fils cadet, Jacques PATY, âgé de deux jours au moment de l’accident, y décède le 6 Avril 1761 à l’âge de quatre mois.

Acte de décès de Jacques PATY, le 6 avril 1761 à Neuville aux Bois

Acte de décès de Jacques Paty en 1761 – Archives Départementales du Loiret

Un dernier fils nait d’ailleurs à Neuville aux Bois, le  22 octobre 1763. Il s’appelle Pierre.

La famille continue de passer de ferme en ferme dans le nord du Loiret, dans la région de Neuville-aux Bois. Louis PATY, le père, le laboureur, meurt le 17 juin 1784 au bourg de Villereau, à l’âge de 56 ans. Ses deux fils, Pierre et Louis, sont présents à sa sépulture. Ce dernier, Le seul témoin oculaire de l’accident, grandit, se marie et vit jusqu’à l’âge de 66 ans et décède  le 29 mai 1822 à Neuville aux Bois. Nul doute que cet accident a marqué les esprits dans le village de Loury, et en particulier chez cette famille loirétaine.

 

1 Bailli : officier remplissant ses fonctions au nom du Roy de France. Il  est le représentant de l’autorité sur un territoire, en l’occurrence ici la baronnie de Loury.

2 Haute, moyenne et basse justice : fonctionnement de la justice seigneuriale, hérité du Moyen-âge. La basse justice ne s’appliquait qu’à des affaires peu importantes.  Alors que la haute justice traitait des crimes punis de mort, la justice criminelle, etc.

3 Liard : Ancienne monnaie française de cuivre, qui valait trois deniers, le quart d’un sou, soit 1,25 centimes. La frappe cessa en 1792, et  le liard est démonétisé en 1856.

 

Je remercie tout particulièrement Chantal BRUNNER pour sa gentillesse et sa bienveillance. Ses recherches sur le terrain à Cébazat, m’ont aidé à compléter l’histoire de Barthélémy REDDON et sa famille.

Cet article est rédigé dans le cadre des ateliers blog de CLG Formation-Recherches. Le thème du mois d’avril est : « un accident»

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