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Un matin de juin 2025, j’ai poussé les grilles du cimetière de Marigny-les-Usages. À l’image de la commune, il n’est pas très grand, et plutôt bien entretenu. Après avoir marché le long de plusieurs allées, je tombe nez à nez avec la sépulture de Régis BLUTÉ.

La sépulture

La sépulture en elle-même est assez commune dans la région, et typique des tombes de la fin du XIXe et du début du XXe siècle.  Elle est composée d’une semelle en béton, couverte d’une pierre tombale en granit gris. Cette dernière n’est certainement pas d’origine, étant donné son état, quasiment intact.

À la tête de cette sépulture, on trouve un piédestal en béton, surmonté d’une grande croix en fonte. Sur cette croix, on y retrouve deux symboles omniprésents dans les cimetières : le Christ et les branches de lierre.

Par son feuillage persistant, été comme hiver, le lierre suggère, dans la symbolique funéraire, à la fois l’immortalité et l’éternité. Il représente aussi l’attachement : sa famille, à sa terre, à sa vie.  Le Christ, représenté sur la croix, avec les deux clous de la Passion, signifie que le chrétien vit dans la lumière de Dieu.  Cela aussi bien pendant son passage sur terre, que dans la vie éternelle, après son décès.

Sépulture de Régis BLUTÉ au cimetière de Marigny-les-Usages

Sépulture de Régis BLUTÉ – Crédit: Bonne Pioche Généalogie

 

Les symboliques funéraires représentées sur la croix en fonte de la sépulture Régis Bluté

Les symboliques funéraires de la sépulture BLUTÉ

La croix est en fonte. C’est avant tout cette partie du monument qui permet de dater la sépulture, hormis la date du décès. Le monde funéraire a connu des modes, dans sa représentation comme dans ses procédés de fabrication.

Moins onéreux que le bronze et le fer forgé, la fonte a aidé, au cours du XIXe siècle, et ce, jusqu’aux années 1930, à démocratiser les ornements funéraires. C’est à cette époque que bon nombre de modèles de grilles, barrières, jardinières et croix sont fabriquées de façon industrielle. Les fonderies de toute la France produisaient à l’époque le mobilier funéraire en fonte de fer.

La vie de Régis BLUTÉ à Marigny-les-Usages

Régis BLUTÉ vient au monde le lundi 12 septembre 1904, à Villevert, dans le village de Marigny *, à l’est d’Orléans. Il est le deuxième enfant et le premier garçon d’un couple de cultivateurs : Ernest BLUTÉ, trente-sept ans, et Rachel Adelphine BARRÉ, âgée de vingt-huit ans.

Le jour suivant, le père se présente à la mairie du village, pour déclarer la naissance de son fils. Il est accompagné du limonadier de Marigny, Jules COURTIN, et d’un ami cultivateur, Eugène PERVIN. Le maire de Marigny, Armand LEROY-CHALINE, consigne l’évènement dans le registre des naissances.

Extrait du cadastre napoléonien de la commune de Marigny, représentant le quartier de Villevert, ou vit la famille BLUTÉ

Villevert, à Marigny – Cadastre napoléonien – Archives Départementales du Loiret

Régis passe toute sa jeunesse dans son village natal, en bordure de la forêt d’Orléans. Il vit avec ses parents et sa grande sœur Irène, au rythme de la vie agricole loirétaine. En parallèle, les enfants font tous les deux preuve d’assiduité à l’école communale, malgré le besoin de petites mains à la ferme.

Carte postale ancienne représentant la mairie et l'école de Marigny au début du XXe siècle

L’école et la mairie de Marigny – Collection personnelle

La famille BLUTÉ reste installée à Villevert. Régis semble n’avoir vécu qu’à une seule et même adresse.

Extrait du recensement de 1906 à Marigny, sur lequel figure la famille BLUTÉ

Recensement Marigny les Usages 1906 – Source: Archives Départementales du Loiret

Extrait du recensement de 1911 à Marigny, sur lequel figure la famille BLUTÉ

Recensement Marigny les Usages 1911 – Source : Archives Départementales du Loiret

Au début de la Première Guerre mondiale, Régis n’a que dix ans. Ernest BLUTÉ, son père, est mobilisé pendant quelques mois. Malgré ses quarante-sept ans, il est rappelé à l’activité et affecté au service des G.V.C. Les Garde des Voies de Communication avaient pour mission de surveiller et protéger tous les points sensibles d’une ligne ferroviaire : les abords des gares, les passages à niveau, les tunnels, les ponts, etc. Après quatre mois en tant que garde, il est renvoyé dans ses foyers, mais reste mobilisable. Cette guerre a touché toute la population. Chaque famille était impliquée.

Le service militaire, loin du Loiret

Nous sommes en 1924. Régis, vingt ans, est cultivateur avec son père. Il va bientôt partir pour le service militaire. Après la première étape du recensement militaire, il est inscrit dans la liste du canton d’Orléans-Est. Début novembre 1924, il apprend qu’il va être incorporé au sein du 156ᵉ Régiment d’infanterie, à Toul (Meurthe-et-Moselle). C’est loin, et il y fait froid. Mais dans ces années de reconstruction après l’apocalypse, le besoin d’hommes est dans cette région.

C’est un jeune homme mesurant un mètre soixante-dix centimètres, de corpulence moyenne, qui attend son train sur le quai de la gare de Marigny-les-Usages. Ses cheveux noirs étaient coupés très court, selon l’usage des conscrits, étaient couverts d’une casquette. Il monte dans la voiture, et s’assoit sur le premier siège venu. Ses parents, debout sur le quai, lui adressent un dernier signe de tendresse. Coup de sifflet, la locomotive repart. Ses yeux gris rivés à la vitre, Régis salue son père et sa mère, en s’éloignant. D’un dernier coup d’œil, il aperçoit furtivement son village natal, avant de s’en aller vers Orléans, direction la Meurthe-et-Moselle.

Carte postale ancienne représentant la gare de Marigny au début du XXe siècle

Gare de Marigny au début du XXe siècle – Collection personnelle

Le jeune soldat de seconde classe arrive à Toul le 15 novembre 1924. Il y reçoit, durant les premières semaines, les premières bases de sa formation militaire : la discipline, l’endurance physique et morale, le patriotisme, l’organisation de l’armée, les techniques de combat ainsi que le maniement des armes.

Carte postale ancienne représentant des soldats du 156e Régiment d'Infanterie, devant leur caserne à Toul

Le 156e Régiment d’Infanterie à Toul

En mission à Coblence, en Allemagne

Au bout de quelques semaines en Caserne à Toul, Régis BLUTÉ est envoyé à Coblence, en Allemagne. En effet, une grande partie du 156ème Régiment d’Infanterie est stationné à Coblence depuis 1923, afin de garantir l’exécution du traité de Versailles** (1919). Ce régiment faisait partie de l’Armée Française du Rhin (AFR).

Carte postale ancienne représentant la ville de Coblence, en Allemagne

Coblence – Collection personnelle

Régis participe alors à des missions de maintien de l’ordre et de surveillance dans la Ruhr, à Coblence, en Allemagne. C’est durant cette mission à l’étranger que Régis BLUTÉ tombe malade. Il attrape une mauvaise grippe, doublée d’une pneumonie sérieuse, qui touche ses deux poumons. Il entre à l’hôpital militaire de Coblence le 9 janvier 1925. Il y décède le 28 janvier 1925, il n’a que vingt ans.

Son corps est transféré en France, afin que le soldat martarais soit inhumé dans son village natal. Son acte de décès est transcrit dans les registres de la commune de Marigny un mois après son décès, le 26 février 1925.

Acte de décès de Régis BLUTÉ, transcrit dans l'état civil de la commune de Marigny-les-Usages le 26 février 1925

Transcription de décès de Régis BLUTÉ – Source : Mairie de Marigny-les-Usages

Plaque funéraire sur la sépulture de Régis BLUTÉ

Sépulture de Régis BLUTÉ – Crédit: Bonne Pioche Généalogie

* Marigny prend officiellement le nom actuel de Marigny-les-Usages à partir du 5 août 1919. Le complément « les Usages » est ajouté pour éviter la confusion avec des villages homonymes. « Les Usages » rappelle le droit d’usage forestier, octroyé aux habitants de Marigny durant des siècles. Ils pouvaient ainsi bénéficier des ressources naturelles de la forêt (bois, nourriture pour les bêtes, etc.)

** Le traité de Versailles, signé le 28 juin 1919, a officiellement mis fin à la Première Guerre mondiale entre l’Allemagne et les alliés. Il impose, entre autres, des conditions sévères à l’Allemagne (pertes territoriales, restrictions militaires, lourdes sanctions financières).

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